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Il ne devait pas être plus facile de manger proprement quand on mangeait couché, surtout si l’on fait attention que plusieurs des convives portaient la barbe longue, et qu’on se servait des doigts, ou tout au plus du couteau, pour porter les morceaux à la bouche, car l’usage des fourchettes est moderne ; on n’en a point trouvé dans les ruines d’Herculanum, où l’on a cependant trouvé beaucoup de cuillers.

Il faut croire aussi qu’il se faisait par-ci par-là quelques outrages à la pudeur, dans des repas où l’on dépassait fréquemment les bornes de la tempérance, sur des lits où les deux sexes étaient mêlés, et où il n’était pas rare de voir une partie des convives endormis.

Nam pransus jaceo, et satur supinus
Pertundo tunicamque, palliumque
.

Aussi c’est la morale qui réclama la première.

Dès que la religion chrétienne, échappée aux persécutions qui ensanglantèrent son berceau, eut acquis quelque influence, ses ministres élevèrent la voix contre les excès de l’intempérance. Ils se récrièrent contre la longueur des repas, où l’on violait tous leurs préceptes en s’entourant de toutes les voluptés. Voués par choix à un régime austère, ils placèrent la gourmandise parmi les péchés capitaux, critiquèrent amèrement la promiscuité des sexes, et attaquèrent surtout l’usage de manger sur des lits, usage qui leur parut le résultat d’une mollesse coupable et la cause principale des abus qu’ils déploraient.

Leur voix menaçante fut entendue : les lits cessèrent d’orner la salle des festins, on revint à l’ancienne manière de manger en état de session ; et, par un rare bonheur, cette réforme, ordonnée par la morale, n’a point tourné au détriment du plaisir.