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pouvoir dans une affaire où j’étais évidemment la partie principale, j’acceptai pour tous, et l’invitation resta fixée au surlendemain à trois heures.

La soirée se passa comme à l’ordinaire ; mais au moment où je me retirais, le garçon de salle (waiter) me prit à part et m’apprit que les Jamaïcains avaient commandé un bon repas ; qu’ils avaient donné des ordres pour que les liquides fussent soignés, parce qu’ils regardaient leur invitation comme un défi à qui boirait le mieux, et que l’homme à la grande bouche avait dit qu’il espérait bien qu’à lui seul il mettrait les Français sous la table.

Cette nouvelle m’aurait fait rejeter le banquet offert, si je l’avais pu avec honneur ; car j’ai toujours fui de pareilles orgies ; mais la chose était impossible. Les Anglais auraient été crier partout que nous n’avions pas osé nous présenter au combat, que leur présence seule avait suffi pour nous faire reculer ; et, quoique bien instruits du danger, nous suivîmes la maxime du maréchal de Saxe : le vin était tiré, nous nous préparâmes à le boire.

Je n’étais pas sans quelques soucis ; mais, en vérité, ces soucis ne m’avaient pas pour objet.

Je regardais comme certain qu’étant à la fois plus jeune, plus grand et plus vigoureux que nos amphitryons, ma constitution, vierge d’excès bachiques, triompherait facilement de deux Anglais, probablement usés par l’excès des liqueurs spiritueuses.

Sans doute, resté seul au milieu des quatre autres réservés, on m’aurait proclamé vainqueur ; mais cette victoire qui m’aurait été personnelle aurait été singulièrement affaiblie par la chute de mes deux compatriotes, qu’on aurait emportés avec les vaincus dans l’état hideux qui suit une pareille défaite. Je désirais