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à l’avance pour bien et dignement recevoir ses confrères.

Or, quand ce fut le tour du curé de Talissieux, il arriva qu’un de ses paroissiens lui fit cadeau d’une magnifique anguille prise dans les eaux limpides de Serans, et de plus de trois pieds de longueur.

Ravi de posséder un poisson de pareille souche, le pasteur craignit que sa cuisinière ne fût pas en état d’apprêter un mets de si haute espérance ; il vint donc trouver madame Briguet, et rendant hommage à ses connaissances supérieures, il la pria d’imprimer son cachet à un plat digne d’un archevêque, et qui ferait le plus grand honneur à son dîner.

L’ouaille docile y consentit sans difficulté, et avec d’autant plus de plaisir, disait-elle, qu’il lui restait encore une petite caisse de divers assaisonnements rares dont elle faisait usage chez son ancienne maîtresse.

Le plat d’anguille fut confectionné avec soin et servi avec distinction. Non-seulement il avait une tournure élégante, mais encore un fumet enchanteur ; et quand on l’eut goûté, les expressions manquaient pour en faire l’éloge ; aussi disparut-il, corps et sauce, jusqu’à la dernière particule.

Mais il arriva qu’au dessert les vénérables se sentirent émus d’une manière inaccoutumée, et que, par suite de l’influence nécessaire du physique sur le moral, les propos tournèrent à la gaillardise.

Les uns faisaient de bons contes de leurs aventures du séminaire ; d’autres raillaient leurs voisins sur quelques on dit de chronique scandaleuse ; bref, la conversation s’établit et se maintint sur le plus mignon des péchés capitaux ; et ce qu’il y eut de très-remarquable, c’est qu’ils ne se doutèrent même pas du scandale, tant le diable était malin.