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XI
la poularde de bresse.

Un des premiers jours de janvier de l’année courante 1825, deux jeunes époux, madame et M. de Versy, avaient assisté à un grand déjeuner d’huîtres sellé et bridé ; on sait ce que cela veut dire.

Ces repas sont charmants, soit parce qu’ils sont composés de mets appétissants, soit par la gaieté qui ordinairement y règne ; mais ils ont l’inconvénient de déranger toutes les opérations de la journée. C’est ce qui arriva dans cette occasion. L’heure du dîner étant venue, les époux se mirent à table ; mais ce ne fut que pour la forme. Madame mangea un peu de potage, monsieur but un verre d’eau rougie ; quelques amis survinrent, on fit une partie de whist, la soirée se passa, et le même lit reçut les deux époux.

Vers deux heures du matin, M. de Versy se réveilla ; il était mal à son aise, il bâillait ; il se retournait tellement que sa femme s’en inquiéta et lui demanda s’il était malade. « Non, ma chère, mais il me semble que j’ai faim, et je songeais à cette poularde de Bresse si blanchette, si joliette, qu’on nous a présentée à dîner, et à laquelle cependant nous avons fait un si mauvais accueil. — S’il faut te dire ma confession, je t’avouerai, mon ami, que j’ai tout autant d’appétit que toi, et puisque tu as songé à la poularde, il faut la faire venir et la manger. — Quelle folie ! tout dort dans la maison, et demain on se moquera de nous. — Si tout dort, tout se réveillera, et on ne se moquera pas de nous, parce qu’on n’en saura rien. D’ailleurs, qui sait si d’ici à demain l’un de nous ne mourra pas de