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Il dit, se mit en marche, et nous le suivîmes, supposant avec raison qu’il nous conduisait vers le réfectoire.

Là tous nos sens furent envahis par l’apparition du déjeuner le plus séduisant, d’un déjeuner vraiment classique.

Au milieu d’une table spacieuse s’élevait un pâté grand comme une église ; il était flanqué au nord par un quartier de veau froid, au sud par un jambon énorme, à l’est par une pelote de beurre monumentale, et à l’ouest par un boisseau d’artichauts à la poivrade.

On y voyait encore diverses espèces de fruits, des assiettes, des serviettes, des couteaux, et de l’argenterie dans des corbeilles ; et au bout de la table, des frères lais et des domestiques prêts à servir, quoique étonnés de se voir levés si matin.

En un coin du réfectoire, on voyait une pile de plus de cent bouteilles, continuellement arrosée par une fontaine naturelle, qui s’échappait en murmurant Evohe Bacche ; et si l’arôme du moka ne chatouillait pas nos narines, c’est que dans ces temps héroïques on ne prenait pas encore le café si matin.

Le révérend cellérier jouit quelque temps de notre étonnement ; après quoi il nous adressa l’allocution suivante, que, dans notre sagesse, nous jugeâmes avoir été préparée :

« Messieurs, dit-il, je voudrais pouvoir vous tenir compagnie, mais je n’ai pas encore dit ma messe, et c’est aujourd’hui jour de grand office. Je devrais vous inviter à manger ; mais votre âge, le voyage et l’air vif de nos montagnes doivent m’en dispenser. Acceptez avec plaisir ce que nous vous offrons de bon cœur ; je vous quitte et vais chanter matines. »

À ces mots, il disparut.

Ce fut alors le moment d’agir ; et nous attaquâmes