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MÉDITATION IV

Je m’approchai de celui des convives que je crus le plus en état de satisfaire ma curiosité, et lui demandai ce qu’il y avait de nouveau. « Hélas ! me répondit-il avec l’accent de la plus profonde affliction, monseigneur vient d’être mandé au conseil d’État ; il part en ce moment, et qui sait quand il reviendra ? — N’est-ce que cela ? répondis-je d’un air d’insouciance qui était bien loin de mon cœur. C’est tout au plus l’affaire d’un quart d’heure ; quelque renseignement dont on aura eu besoin ; on sait qu’il y a ici aujourd’hui dîner officiel ; on n’a aucune raison pour nous faire jeûner. » Je parlais ainsi ; mais, au fond de l’âme, je n’étais pas sans inquiétude, et j’aurais voulu être bien loin.

La première heure se passa bien, on s’assit auprès de ceux avec qui on était lié ; on épuisa les sujets banaux de conversation, et on s’amusa à faire des conjectures sur la cause qui avait pu faire appeler aux Tuileries notre cher amphitryon.

À la seconde heure, on commença à apercevoir quelques symptômes d’impatience : on se regardait avec inquiétude, et les premiers qui murmurèrent furent trois ou quatre convives qui, n’ayant pas trouvé de place pour s’asseoir, n’étaient pas en position commode pour attendre.

À la troisième heure, le mécontentement fut général, et tout le monde se plaignait. « Quand reviendra-t-il ? disait l’un. — À quoi pense-t-il ? disait l’autre, — C’est à en mourir ! » disait un troisième ; et on se faisait, sans jamais la résoudre, la question suivante : « S’en ira-t-on ? ne s’en ira-t-on pas ? »

À la quatrième heure, tous les symptômes s’aggravèrent : on étendait les bras, au hasard d’éborgner les voisins ; on entendait de toutes parts des bâillements