Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/99

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
85
DES ALIMENTS.

qu’on en peut manger beaucoup sans nuire au repas qui suit immédiatement.

On se souvient qu’autrefois un festin de quelque apparat commençait ordinairement par des huîtres, et qu’il se trouvait toujours un bon nombre de convives qui ne s’arrêtaient pas sans en avoir avalé une grosse (douze douzaines, cent quarante-quatre). J’ai voulu savoir quel était le poids de cette avant-garde, et j’ai vérifié qu’une douzaine d’huîtres (eau comprise) pesait quatre onces, poids marchand : ce qui donne pour la grosse trois livres. Or, je regarde comme certain que les mêmes personnes, qui n’en dînaient pas moins bien après les huitres, eussent été complétement rassasiées si elles avaient mangé la même quantité de viande, quand même ç’aurait été de la chair de poulet.

anecdote.

En 1798, j’étais à Versailles, en qualité de commissaire du Directoire, et j’avais des relations assez fréquentes avec le sieur Laperte, greffier du tribunal du département ; il était grand amateur d’huîtres et se plaignait de n’en avoir jamais mangé à satiété, ou, comme il le disait : tout son soûl.

Je résolus de lui procurer cette satisfaction, et, à cet effet, je l’invitai à dîner avec moi le lendemain.

Il vint : je lui tins compagnie jusqu’à la troisième douzaine, après quoi je le laissai aller seul. Il alla ainsi jusqu’à la trente-deuxième, c’est-à-dire pendant plus d’une heure, car l’ouvreuse n’était pas bien habile.

Cependant j’étais dans l’inaction, et comme c’est à table qu’elle est vraiment pénible, j’arrêtai mon convive au moment où il était le plus en train : « Mon cher, lui dis-je, votre destin n’est pas de manger aujourd’hui