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La question d’Europe en 1899.

… L’Allemagne, la Russie, la Hongrie, l’Angleterre, les États-Unis sont donc les pays dont vont dépendre plus particulièrement, au début du xxe siècle, la paix matérielle et le repos moral de l’Europe. Les trois premiers sont directement intéressés dans la succession d’Autriche ; les autres représentent le poids qui fera pencher dans un sens ou dans l’autre la balance de la civilisation Ainsi l’Europe n’est pas achevée. Tandis que les États qui l’encerclent ont atteint leur développement normal et réalisé leur forme définitive, une incertitude plane encore au centre. Plus on examine le temps présent, plus on cherche à en saisir l’ensemble, à en scruter les détails et plus il semble que ce fait capital surplombe tout l’avenir. Les conflits coloniaux pourront sinon s’éviter du moins se circonscrire et quelque degré d’acuité qu’atteignent jamais les rivalités commerciales, une guerre d’intérêts sera rarement populaire par la raison que les citoyens d’un même pays gardent des intérêts contradictoires. Mais là, au cœur de l’Europe, il ne s’agit ni de fortune ni de prépondérance. Ce sont des questions de vie ou de mort qui se posent ; on ne saurait ni les éluder ni les limiter. On pourrait du moins les aborder dans un désir de paix, de liberté, de justice. En sera-t-il ainsi ?

Aux Anglo-saxons de le décider. Il s’agit de savoir s’ils trouveront en eux-mêmes la force nécessaire pour triompher des suggestions de l’esprit de lucre et de domination. Déjà, chez eux, la lutte bat son plein. D’un côté, il y a tout un passé de libre-arbitre individuel et collectif, des traditions de justice et de légalité, l’habitude de débattre les affaires publiques, de raisonner les événements, de former et d’énoncer des jugements indépendants. De l’autre, il y a une montée extraordinaire de richesse et de force, des projets séduisants, des entreprises audacieuses, la confiance en soi qu’engendre le succès, le désir de garder son avance et aussi, il faut bien le dire, de pernicieux exemples déjà donnés par d’autres peuples.

Telle est la question d’Europe, question politique mais surtout morale et dont la gravité réside principalement dans son caractère inéluctable. Rien ne l’empêchera de peser sur le siècle qui vient. Qu’y pourraient des changements de gouvernements ou de