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anthologie

de la conscience sont rouillés et ne fonctionnent pas au-delà. En vain s’adresse-t-on à la volonté pour les mettre en mouvement. Ce n’est pas facile d’improviser une instruction impartiale, de bien conduire un interrogatoire. Quant à l’avocat de la partie lésée, il ne se présente même pas. Son adversaire a beau jeu. Si réquisitoire il y a, il sera si rapide et prononcé d’une voix si faible qu’à peine pourra-t-on l’entendre. Et voilà ce simulacre d’audience clos sans que le juge soit sorti de sa léthargie. Telle est la conscience endormie.

La conscience dévoyée fonctionne, elle, avec vigueur et ostentation. Elle trouve dans l’histoire plus d’un modèle. Que de procès politiques ont déshonoré la justice ! Il y a des consciences installées sur le même plan que certains tribunaux corrompus. L’orgueil, le vice ou la peur y rendent des arrêts qu’applique aussitôt une force aveugle ou mercenaire. L’intérieur de ces consciences dévoyées présente un affreux spectacle. Le pire est qu’elles n’appartiennent pas toujours à des criminels mais à des êtres socialement étiquetés comme « honnêtes gens ». Bien des criminels possèdent des consciences endormies alors que des citoyens honorés pour la tenue extérieure de leur existence laissent entrevoir les bas-fonds de leurs consciences dévoyées…

La conscience alerte l’est à un degré plus ou moins marqué. Elle n’atteint pas à la perfection qui n’est pas de ce monde mais elle maintient l’homme sur la brêche de sa propre imperfection, prêt à lutter honnêtement contre lui-même.

La conscience alerte est souvent inexperte, maladroite, parce qu’elle n’a pas été éduquée et entraînée comme elle devait l’être.

Il faut se garder de faire germer dans ce sol délicat la plante douteuse qu’on nomme le scrupule. Il risque d’en sortir toute une végétation fâcheusement touffue. Le scrupule se multiplie, sans mesure et produit l’hésitation, la timidité, l’inquiétude maladive. Sa façon de s’exprimer, c’est le point d’interrogation. Il le pose inlassablement et ne répond pas. Pour reprendre notre comparaison, il provoque le tribunal à une sorte de session perpétuelle où les causes enchevêtrées et toujours renaissantes ne seraient, somme toute, ni bien instruites, ni sainement plaidées, ni définitivement jugées. Le résultat d’une telle activité n’offre pas de garanties. Il est assez fréquent comme l’a écrit un romancier moraliste, « qu’une conscience scrupuleuse et une âme égoïste se prêtent un appui réciproque. »

La conscience ne doit siéger que lorsqu’il y a matière. Et cette