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anthologie

D’abord la géométrie…

… L’enceinte dont nous venons de parler, c’est l’arithmétique ; l’esplanade, c’est la géométrie. Vous feriez comprendre à un enfant de cinq ans, et sans dommage pour son cerveau tant la démonstration en est simple et l’évidence absolue, la propriété qu’ont deux droites parallèles de ne pouvoir se rencontrer. Mais, comment ne s’arrêterait-il pas, interdit, devant cette liste des nombres premiers que le procédé d’Ératosthène permet de former aisément, mais à laquelle il n’apporte aucun éclaircissement. C’est un fait qu’il existe, le nombre premier, mais un fait inintelligible et presque abstrait ; l’enfant ne peut l’accueillir que comme un personnage inquiétant dont la nature et le rôle ne sont pas définis : un personnage de cauchemar. Et songez qu’avant d’apprendre le triangle et ces équivalences d’angles si faciles à expliquer, si lumineuses à percevoir, le même enfant devra peiner sur la théorie des fractions, affreuse caverne d’où les nombres roulent sur lui, accablants et implacables. Le nombre, cet abîme ! on l’y condamne avant que son regard ait connu la ligne, source de certitude et de repos. Quand on lui montre le cercle et l’ellipse, le rayon, la corde, le segment, la sécante, la tangente, le polygone, le prisme… droites ou figures d’une simplicité merveilleuse dans leurs rapports avec l’esprit, il aura déjà pâli sur l’extraction des racines carrées ou cubiques. Ce problème de géométrie descriptive : « Étant données les projections d’une droite trouver ses traces », est infiniment plus acceptable et résoluble par l’intelligence juvénile que le moins compliqué des problèmes d’arithmétique. Vous feriez admettre à un être inculte les principes élémentaires de l’établissement des graphiques et de la géométrie cotée ; essayez donc de lui faire définir et dresser une « progression par quotients » !… N’hésitons pas à le proclamer, la véritable initiatrice des mathématiques, celle à qui il faut, dès le début faire appel, c’est la géométrie. Il n’est pas jusqu’à l’algèbre dont les formules premières, par leurs apparences presque géométriques, ne l’emportent sur la vue des nombres.

Revue pour les Français, 1906.