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souvenirs d’amérique et de grèce.

titude s’est mise debout comme mue par un courant électrique. Le tonnerre des acclamations a dû rouler, à travers la plaine, jusqu’au pied du Parnès et réveiller dans leurs demeures souterraines les mânes des ancêtres ; car ce n’était point seulement l’acte accompli qui provoquait ces élans ; c’était plutôt le souvenir évoqué, toute leur glorieuse histoire repassant, avec ce coureur, sous les yeux des Grecs. Alors, pour le soustraire, lui, aux dangereux épanchements d’un peuple en délire, le prince royal et son frère le prince Georges l’ont enlevé dans leurs bras et l’ont emporté, et l’enthousiasme est monté de nouveau, comme une vague irrésistible, devant ce tableau superbe.

Le calme a été très long à revenir. J’ai vu, près de moi, une dame détacher sa montre et l’envoyer en cadeau au jeune héros du jour ; un hôtelier patriote lui a signé un bon pour 365 repas et un des gamins qui cirent les chaussures au coin des rues s’est engagé à prendre soin de ses bottes gratuitement. Cela, c’est la note comique, mais combien touchante si l’on va chercher au fond des cœurs le sentiment qui dicte de pareilles offres. Tous ceux que j’ai vus ce soir-là, même les plus railleurs, avaient participé à l’émotion générale,… et notre distingué compatriote, M. Charles Maurras, qui m’en avait voulu jadis d’« internationaliser » le sport, s’est déclaré converti : « Je vois, m’a-t-il dit — et cela est profondément juste, — je vois que cet internationalisme-là ne tuera pas les patries, mais les fortifiera ! »