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CHAPITRE XIII.

triomphales, de recourir à une autre cause que le pur caprice du hasard, je ne la chercherais pas dans cette hypothétique supériorité dont parle Müller. Ces chants étaient, pour ainsi dire, les archives d’une foule de familles, qui descendaient ou prétendaient descendre des héros célébrés par Pindare : la vanité de ces familles, le culte des traditions antiques, devaient multiplier de préférence les copies de ces poëmes, et par conséquent diminuer pour eux les chances de destruction.


Caractère des odes triomphales.


Au reste, c’est là surtout que nous avons à chercher Pindare, si nous voulons nous faire une idée de son caractère et de son génie. Et d’abord, qu’on se garde bien de croire que le poëte abdiquât jamais sa dignité d’homme, ni l’indépendance de ses jugements, alors qu’il se prêtait à satisfaire les fantaisies plus ou moins vaniteuses de ses hôtes. Il donne fréquemment à ses héros de grandes et nobles leçons. Il n’épargne pas les remontrances, même à ses puissants et redoutables protecteurs, les Hiéron, les Arcésilas. Il proclame devant eux que la tyrannie est odieuse[1] ; que le mérite et la vertu sont les seuls biens véritables, et qu’ils finissent toujours par triompher de l’aveuglement du vulgaire et de la calomnie[2] ; il montre, comme une menace éternellement pendue sur la tête de ceux qui abusent de la force, le sort de Tantale, d’Ixion, de Typhon, de Phalaris[3] ; il réclame avec énergie contre l’injuste bannissement de Damophilus, qu’Arcésilas tenait éloigné de Cyrène, et qui vivait à Thèbes, soupirant en vain après son rappel[4]. Rien, dans Pindare, qui sente le complaisant vil ou le mercenaire. Partout et toujours le poëte thébain est digne de se déclarer, comme il fait, l’interprète des lois divines. Une morale pure et sainte respire dans ses vers ; les tableaux qu’il déroule devant les yeux ne sont pas moins propres à élever qu’à charmer l’âme. C’est,

  1. Pindare, Pythiques, ode II.
  2. Pythiques, ode IV.
  3. Olympiques, ode I ; Pythiques, odes I, II, XII.
  4. Pythiques, ode IV, vers la fin.