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PRÉLIMINAIRES.

Les autres dieux ne sont que les ministres du dieu souverain, ou des conseillers qui l’aident de leurs avis dans le gouvernement de l’univers. Il y a, dans le palais de Jupiter, des jalousies, des inimitiés sourdes ou déclarées ; et l’assemblée céleste offre le même spectacle de lutte, et souvent de confusion, que ces conseils où les pasteurs des peuples, comme les appelle Homère, ne parvenaient pas toujours à s’entendre. Mais ce qui occupe principalement, presque uniquement, les habitants de l’Olympe, c’est le sort des nations et des cités : ce sont eux qui font réussir ou échouer les entreprises des héros ; et il n’est pas rare de les voir se mêler de leur personne aux combats qui se livrent sur la terre, et s’y exposer aux plus désagréables mésaventures. Les héros ne sont pas indignes de cette haute intervention, car ils sont eux-mêmes, pour la plupart, ou les fils des dieux ou les descendants des fils des dieux. Ils forment la chaîne qui rattache la race divine au vulgaire troupeau de l’espèce humaine.

Les poëtes, malgré tous leurs efforts, ne sont pourtant jamais parvenus à faire de la religion grecque un tout systématique et bien lié. La conscience faisait sentir tout ce qu’avait d’incomplet cette explication de la conduite de l’univers. Elle contraignit même d’introduire des principes d’un autre ordre, et subversifs de toute l’économie mythologique. Le destin, force mystérieuse et toute-puissante, sert à rendre raison de l’inexplicable. Le destin est déjà dans Homère. Il est vrai que d’ordinaire ses décrets ne sont autre chose, selon le poëte, que la volonté de Jupiter, ou concordent au moins avec cette volonté ; mais quelquefois aussi il y a contradiction, et le dieu très-haut, très-glorieux et très-grand est réduit à se résigner, bon gré mal gré, même aux plus amers sacrifices. Jupiter ne peut sauver d’une mort prématurée Sarpédon, son propre fils : « Hélas ! s’écrie-t-il, quel malheur pour moi ! c’est l’arrêt du destin que Sarpédon, celui des guerriers que j’aime entre tous, périsse sous les coups de Patrocle, fils de Ménœtius[1] » D’ailleurs, les cultes étran-,

  1. Iliade, chant XVI, vers 433, 434.