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CHAPITRE XXVII.

même pas par un discours en forme. Une anecdote, un mythe allégorique qu’il avait entendu conter, disait-il, ou bien quelques apophtegmes, le commentaire d’un oracle, les paroles de quelque prêtre qu’il rappelait, il ne lui en fallait pas davantage ; et, pourvu que les auditeurs emportassent dans leur âme quelque germe nouveau de sagesse et de vertu ; pourvu surtout que beaucoup commençassent à se défier de leurs admirations irréfléchies, Socrate croyait avoir dignement accompli sa tâche. Il n’aspirait ni au renom d’homme éloquent, ni à celui de savant homme : « Tout ce que je sais, disait-il, c’est que je ne sais rien. » C’était la seule science dont il se targuât en présence des sophistes ; et l’ironie socratique n’est pas autre chose que la mise en pratique de cette maxime fameuse, à l’aide de laquelle Socrate fait trébucher à chaque pas la science prétendue des hommes qui ne savent pas qu’ils ne savent rien.


Doctrines de Socrate sur le beau et sur l’éloquence.


Mais Socrate n’était pas seulement le plus spirituel, le plus fin, le plus profond des critiques, et le plus courtois : il avait, sur tous les points essentiels de la morale, de la politique et de la religion, des idées parfaitement arrêtées, des solutions toutes pratiques ; et son ignorance apparente couvrait la science la plus réelle et même le plus complet système que jusque-là philosophe eût conçu. Ce n’était pas une de ces constructions fantastiques comme en avaient élevé les Ioniens ou les Éléates. Socrate, qui cherchait avant tout le beau et le bien, s’interdisait les spéculations sur la nature universelle des choses. Il ramena, comme dit Cicéron, la philosophie du ciel sur la terre. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler quelles vives et saines lumières il répandit sur toutes les questions qui importent à la dignité et à la grandeur morale de l’espèce humaine. Je me bornerai à dire quelques mots de la manière dont Socrate parlait du beau, et de l’idée qu’il se faisait de véritable orateur et de la véritable éloquence.

L’artiste, suivant Socrate, ne saurait produire le beau