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derniers à la représentation d’un opéra pour lequel je professe, à mon faible sens, une grande estime ; installé dans un fauteuil d’orchestre, j’avais deux voisins fort aimables, et avant que la représentation fût commencée, il s’était établi entre nous une conversation assez suivie qui m’avait appris que mes interlocuteurs n’étaient pas musiciens, et n’avaient d’autres connaissance de l’art que celle acquise par la fréquentation assidue du théâtre.

J’avais entendu à Paris des gens qui font autorité en musique exprimer sur cette œuvre l’appréciation la plus favorable ; aussi l’on peut juger de ma stupéfaction en entendant dire que le premier acte était détestable et l’ouverture décousue. Cependant, revenu un peu à moi, j’essayai de défendre l’ouvrage, mais ce fut en vain, et je saluai mes voisins, me promettant d’être entièrement de leur avis, quand ils auraient su trouver quel fil il fallait pour recoudre l’étoffe.

De l’orchestre, je passai dans une loge dont les premières places étaient occupées par deux dames ayant pour cavalier un monsieur endormi profondément dans l’ombre du fond et qui ouvrit un œil pour me regarder entrer, mais le referma bien vite dès que j’eus pris place à côté de lui. Les charmants détails dont le deuxième acte est rempli pouvaient me faire croire que mon voisin ne fermait les yeux que pour mieux les entendre, et le silence des deux dames pouvait s’interpréter par l’intérêt que leur inspirait la pièce ; quand l’une d’elles, rompant cette placidité que je prenais pour de l’attention soutenue, dit à sa voisine : « Mme X a une bien jolie robe. — Oui, répondit l’autre dame, c’est une robe qui durera tout l’abonnement. » Cependant l’acte tirait à sa fin, le rideau se baissa, le musicien dormait toujours, et les dames continuant, en fait d’impressions musicales, à se communiquer leurs réflexions