Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/29

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raconte cette même aventure, en y ajoutant quelques circonstances qui la rendent plus dramatique et un peu moins vraisemblable, comme celle de quatre boules noires trouvées dans l’urne, et de quatre autres boules de la même couleur retenues par autant d’académiciens qui, l’un après l’autre, en auroient fait l’exhibition. Mais ce n’est point là que gît la difficulté ; voici en quoi elle consiste : Collé place le fait à l’élection de M. de Belle-Isle en 1749, et Marmontel à celle de M. l’abbé de Radonvilliers en 1763. Collé, qui consignoit les événemens dans son Journal, jour par jour et à mesure qu’ils arrivoient, ne peut pas être soupçonné d’avoir confondu les dates. D’un autre côté, Marmontel, qui avoit été le concurrent de l’abbé de Radonvilliers, n’a pas dû être trompé par sa mémoire au point de rapporter involontairement à cette époque marquante pour lui, un fait antérieur de quatorze ans, et dont on avoit beaucoup parlé dans le temps. Enfin il n’y a point d’apparence que ce fait soit arrivé deux fois, à si peu de distance et entre les mêmes hommes ; ceux qui y avoient été pris déjà, ne devant pas être tentés de subir de nouveau une si forte humiliation. Faut-il donc croire que Marmontel, accoutumé à composer des romans, a quelquefois cédé à la force de l’habitude en écrivant ses mémoires, et n’a pu résister à l’envie d’embellir d’un incident assez plaisant le récit d’un événement où lui-même avoit joué un rôle ? Quelqu’opinion qu’on ait à ce sujet, il reste toujours à Duclos l’honneur d’un trait singulier de prévoyance.

Il fut un de ceux qui opinèrent pour Piron toutes les fois qu’il fut question de lui pour être de l’académie. On opposoit sans cesse à ce poëte sa trop fameuse ode ; voici de

    allons transcrire un passage des Mémoires de Marmontel, où se trouve expliquée la manière dont on précédoit à l’élection d’un académicien : « L’usage de l’académie, en allant au scrutin des boules, étoit de distribuer à chacun des électeurs, deux boules, une blanche et une noire. La boîte dans laquelle on les faisoit tomber, avoit aussi deux capsules et au-dessus deux gobelets, l’un noir et l’autre blanc. Lorsqu’on vouloit être favorable au candidat, on mettoit la boule blanche dans le gobelet blanc, la noire dans le noir ; et lorsqu’on lui étoit contraire, on mettoit la boule blanche dans le gobelet noir, la noire dans le blanc. » Ainsi, lorsqu’on vérifioit le scrutin, il falloit retrouver le nombre des boules, et en trouver autant de blanches dans la capsule noire qu’il y en avoit de noires dans la capsule blanche ». (Mémoires de Marmontel, tom. II, liv. VII, pag. 270 et 271.