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LA RÉUNION

les revenus des communes remis à la disposition de celles-ci[1].

Le décret du 1er  octobre imposait l’obligation de substituer à ce désordre l’organisation républicaine dont les départements devaient former les cadres. C’était une tâche singulièrement difficile. Il ne fallait point compter sur l’appui de la nation. Dans toutes les classes, elle était mécontente, soupçonneuse, aigrie ou décidément hostile. Les commerçants capitalistes, les entrepreneurs industriels enrichis par le renouveau économique du XVIIIe siècle et qui, au début, en Belgique comme en France, avaient applaudi à la Révolution et à la chute de l’Ancien Régime, étaient ruinés et désillusionnés. Aucun de leurs espoirs ne s’était réalisé. La réouverture de l’Escaut, si pompeusement proclamée, n’avait servi de rien, puisque les Anglais tenaient la mer et bloquaient l’embouchure du fleuve. La réunion du pays à la France ouvrait bien à l’industrie belge l’immense marché de la République, mais elle lui fermait en même temps les Provinces-Unies, l’Allemagne et tous ses débouchés traditionnels. Les bureaux de douanes que l’on se hâtait d’établir sur les frontières la soumettaient à un régime tout nouveau, qui n’était pas fait pour elle et qui l’emboîtait de force dans le cadre économique de la France. D’ailleurs les réquisitions, le maximum, les nécessités de l’occupation militaire avaient étouffé les derniers restes du commerce. Les capitaux se cachaient, les matières premières n’arrivaient plus. Seuls l’agiotage et la contrebande alimentaient un trafic aléatoire, illégal et clandestin.

La situation était d’autant plus critique que l’on n’avait pas confiance dans sa durée. L’Autriche n’avait pas renoncé à la possession de la Belgique. La guerre se prolongeait avec des chances diverses et rien ne pouvait garantir qu’une fois de plus, les armées impériales ne réapparaîtraient pas dans le pays. Sans doute, la vieille fidélité dynastique avait disparu depuis la révolution brabançonne. Sauf quelques familles de la haute aristocratie et quelques anciens fonctionnaires, personne ne souhaitait le retour de François II. Il n’y avait pas

  1. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. II, p. 14.