Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
ÉTAT DE L’OPINION

en Belgique comme en France un parti royaliste. Si la nation eût été maîtresse de ses destinées, elle se fût certainement constituée en république comme elle l’avait fait en 1790 et comme elle l’avait essayé trop tard en 1792. Rien n’était changé à cet égard. Au lieu que la maison de Habsbourg fût, comme était en France la maison de Bourbon, le centre de ralliement de tous les mécontents et l’espoir des conservateurs, on n’éprouvait pour elle que froideur sinon hostilité. L’insignifiance de l’émigration en donne la preuve frappante. La liste des émigrés publiée en l’an III dans le département de la Dyle ne comprend qu’un peu plus de trois cents individus, presque tous grands seigneurs, employés de la cour ou de l’administration ; celle du département des Deux-Nèthes n’en renferme qu’une centaine, parmi lesquels dix-sept religieux anglais[1].

Mais si la grande majorité des Belges ne voulaient pas redevenir « autrichiens », ils ne voulaient pas non plus, et peut-être voulaient-ils moins encore, devenir français. Appauvris, froissés et humiliés par la conquête, ils regrettaient l’autonomie dont ils avaient joui avant elle. C’était un moyen de protester contre le régime que l’on subissait, que de se targuer de loyalisme. Faute de mieux, les « malveillants » criaient Vive l’empereur. Quelques agents autrichiens, d’ailleurs, se glissaient dans le pays, y répandant des bruits inquiétants sur la situation militaire, y distribuant de l’argent. Le moindre échec des armées républicaines était grossi et relevait les courages. Les fonctionnaires se sentent entourés d’une hostilité qui leur fait craindre parfois une « nouvelle Vendée » ou des « Vêpres siciliennes ». Ils signalent avec indignation les affiches « incendiaires » que des inconnus placardent sur les murs et qui « jettent le refroidissement dans le cœur de nos amis »[2].

Mais l’occupation est trop rigoureuse pour qu’un soulèvement soit possible. La trahison de Pichegru (31 décembre

  1. Voy. plus haut, p. 67, n 2.
  2. J’emprunte ces détails à une lettre de Bouteville du 6 janvier 1796, insérée dans le registre n° 1 de sa Correspondance (n° 50), aux Archives générales du royaume à Bruxelles.