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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

sont donc celles qui libèrent l’individu des liens par quoi il était jadis attaché à sa classe ou à sa profession et qui lui permettront d’épanouir, comme il le veut, son activité. Rien de plus salutaire que l’abolition des droits féodaux et du retrait lignager, puisqu’elle mobilise, au profit de tous, la propriété foncière ; que la suppression des corporations de métiers, des monopoles, des coalitions, puisqu’elle institue la libre concurrence ; que le partage égal des successions, puisqu’il empêche l’hérédité des grandes fortunes. Désormais il n’y a plus, en face les uns des autres, que des citoyens égaux, et l’harmonie de la vie sociale sera la conséquence naturelle de leur compétition. L’optimisme du XVIIIe siècle arrive ici à son apogée : bon par nature, l’homme ne peut abuser de sa liberté, et toute intervention de l’État dans son domaine serait un retour au despotisme.

Si l’État doit s’abstenir de restreindre cette liberté, il lui appartient en revanche d’en faciliter l’usage. Ici l’utilité générale se confond avec celle des particuliers et l’intérêt de la République est solidaire de celui des citoyens. De là tant d’innovations de tout genre : disparition des douanes intérieures, des péages et des tonlieux, établissement à la frontière de droits protecteurs, introduction d’un système uniforme d’imposition, améliorations de toutes sortes dans les procédés de la comptabilité publique, lois spéciales sur le timbre, l’enregistrement, les hypothèques, les patentes, etc.

En accomplissant ce programme, la Révolution n’a fait d’ailleurs que réaliser l’idéal du despotisme éclairé. En France Turgot, en Belgique Joseph II avaient ouvert la voie où elle les a dépassés. La seule différence c’est que, chez eux, les réformes découlent avant tout de l’intérêt de l’État, tandis que, chez elle, c’est au nom des droits de l’homme qu’elles sont proclamées. Et cela leur confère la dignité et le caractère absolu d’un principe. Le despotisme, ne s’inspirant que de l’utilité générale, se réservait le contrôle de l’activité économique de ses sujets ; la Révolution, en faisant de celle-ci un attribut de la liberté du citoyen, la place en dehors de ses atteintes. Elle ne peut plus admettre d’exceptions au « laissez faire et laissez passer », et il en résulte qu’elle va fournir au capitalisme une