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PRÉPONDÉRANCE DES HOLLANDAIS

cesse à la bouche la Loi fondamentale et l’on ne peut méconnaître qu’il la respectait rigoureusement « comme il la comprenait ». Il la comprenait, cela va sans dire, dans le sens le plus étroit. À ses yeux, elle abandonnait à la couronne tous les pouvoirs qu’elle ne lui refusait pas expressément. Toutes les questions qu’elle n’avait pas explicitement tranchées, toutes celles dont elle remettait la solution à plus tard, c’était au roi à en décider. La presse, dont elle reconnaissait en principe la liberté (§ 227), demeura sous l’empire d’un arrêté pris en 1815 (20 avril) et qui la soumettait au régime le plus sévère[1]. L’inamovibilité de la magistrature ne fut établie qu’en 1830. Largement interprétée, la constitution eût pu donner naissance à une sorte de régime parlementaire. Interprétée suivant les vues de Guillaume, elle se prêta très bien à l’absolutisme. Le respect que le roi professa toujours pour elle n’avait rien d’hypocrite. Il ne lui fit pas violence : il se contenta de pousser jusqu’au bout les droits qu’elle lui reconnaissait. En 1819, van der Duyn observait très justement que tout en ménageant les formes, il exerce « la puissance réelle pour ne pas dire absolue »[2].

On l’a accusé d’avoir voulu « hollandiser » la Belgique. Il ne paraît pas que cette accusation soit plus fondée que celle d’avoir voulu la « protestantiser ». Rien dans sa conduite n’indique qu’il ait eu le dessein de la violenter. Son but fut incontestablement d’unir en un même tout les deux peuples sur lesquels l’Europe l’avait appelé à régner, de les « amalgamer » non seulement par le territoire mais par la communauté des mêmes institutions et de la même administration. Il n’était pas et ne voulait pas être le roi de la Hollande mais le roi des Pays-Bas, et il se proposa de faire de ceux-ci sinon une seule nation, du moins un même État. On ne découvre chez lui aucune intention de traiter les Belges comme les Prussiens,

  1. Le 6 mars 1818, la cour spéciale que cet arrêté instituait pour les délits de presse fut supprimée. Mais les pénalités demeurèrent draconiennes et la facilité de poursuivre était si grande qu’en fait les journalistes ne pouvaient se permettre aucune critique sans s’exposer à une accusation.
  2. Gedenkstukken 1815-1825, t. III, p. 347.