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ÉMIGRÉS FRANÇAIS ET LIBÉRAUX

Bien plus ! On le voit protéger ces émigrés français qui, forcés par la Restauration de chercher un asile dans son royaume, abondent à Bruxelles ou s’installent, au gré des hasards de leur existence cahotée, dans les grandes villes de Belgique. C’est un pêle-mêle extraordinaire que ces réfugiés : régicides frappés par la loi du 12 janvier 1816, anciens dignitaires de l’Empire, hommes politiques, pamphlétaires, journalistes, appartenant aux classes sociales les plus diverses, mais unis en une haine commune contre les Bourbons[1]. Quelques-uns, arrivés à la fin de leur carrière, comme Cambacérès, Sieyès ou Merlin, ne songent plus qu’à se ménager dans les Pays-Bas un exil confortable. D’autres, moins bien nantis, s’inscrivent au barreau, vivent de leçons et surtout cherchent dans le journalisme un exutoire à leur activité et à leurs passions politiques. Une ancienne « merveilleuse » du temps du Directoire, Mme Hamelin, a fait de son salon leur quartier général.

C’est là que, groupés autour de Vadier, de Cambon, de Rouyer de l’Hérault, de Prieur de la Marne et de bien d’autres, ils entretiennent leurs espoirs et leurs rancunes. C’est là qu’on prépare les articles de cette quantité de gazettes, L’Observateur allemand, La Gazette de Brème, La Gazette du Rhin, Le Nain Jaune, Le Mercure Surveillant, qui inlassablement attaquent, persiflent et raillent le gouvernement de Paris, la réaction, l’obscurantisme, le cléricalisme, le drapeau blanc et la Sainte-Alliance. Bruxelles devient un foyer d’intrigues bonapartistes et libérales contre la France de la Restauration. Et malgré les représentations des ministres de Louis XVIII, malgré les conseils de prudence qu’il reçoit de la Russie, de l’Autriche et même de l’Angleterre[2], le roi laisse faire et

  1. Sur leur rôle, voy. P. Duvivier, L’exil du comte Merlin dans les Pays-Bas (Malines, 1911) et Les anciens conventionnels sous la Restauration. L’exil de Cambacérès à Bruxelles, t. I. (Bruxelles, 1923). Add. Notes et souvenirs inédits de Prieur de la Marne, publ. par G. Laurent (Paris, 1912) ; Colenbrander, Gedenkschriften van A. R. Falck, p. 188, 191, 194.
  2. Gedenkstukken 1815-1825, t. I, p. 204, 207, 213, 594-596. En septembre 1816, le roi finit par proposer une loi réprimant les attaques contre les souverains étrangers. Ibid., p. 597.