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IMPOSITION DE LA LANGUE NATIONALE

mandée et l’obligation était imposée aux notaires de dresser leurs actes, dès maintenant, si les parties le demandaient, dans l’idiome du pays. Ainsi, l’unité politique du royaume serait cimentée et définitivement établie par la communauté du langage. Car l’intention du roi apparaissait clairement d’étendre aux provinces wallonnes la loi qui ne s’appliquait encore qu’à la partie flamande du pays. Il la dévoilait en déclarant qu’il serait statué « plus tard » à leur égard. Évidemment, elles devaient passer à leur tour sous le régime commun. Guillaume croyait d’ailleurs ou feignait de croire que le français ne s’y était introduit que sous l’action de l’étranger et qu’en le faisant disparaître il restaurerait, au profit de sa politique, la tradition nationale.

Imposées par la nécessité d’« amalgamer » intimement le royaume, ces mesures linguistiques ne pouvaient manquer de soulever au sein de la bourgeoisie, francisée par vingt années d’occupation, un mécontentement très vif. On ne voit pas qu’on ait nulle part protesté contre le principe dont s’inspirait l’arrêté de 1819. Mais la hâte qui s’y manifestait de réaliser, en l’espace de trois ans, une réforme qui devait bouleverser si complètement les habitudes des fonctionnaires et du barreau paraissait intolérable. Que fallait-il entendre au surplus par langue nationale ? Incontestablement, il était question du néerlandais parlé dans les provinces du Nord. Mais pour les parties flamandes de la Belgique, restées fidèles à leurs dialectes, ce néerlandais littéraire, organe d’une nation hérétique dont l’Église s’était victorieusement appliquée depuis trois cents ans à leur éviter le contact, apparaissait comme une langue étrangère[1].

La défiance du clergé pour toutes les initiatives gouvernementales devait nécessairement le porter à croire que la hollandisation linguistique n’était que le prélude de la hollandisation confessionnelle. Ainsi, les susceptibilités religieuses venaient renforcer les appréhensions des gens en place et des avocats.

  1. Même le libéral Reyphins était de cet avis. De Gerlache, op. cit., t. I, p. 400.