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SITUATION DE L’INDUSTRIE

1830 pour que, excités par l’agitation politique qui exploite leurs griefs et leurs rancunes, ils se déchaînent tout à coup. On les verra alors briser des machines, piller des fabriques et faire le coup de feu sur les barricades. Ils seconderont la bourgeoisie et l’effrayeront tout à la fois par les excès d’une violence qui, ne sachant à qui s’en prendre et confondant l’ordre social et l’ordre politique se tourne, dans un brusque sursaut de fureur, contre l’un et contre l’autre.

La crise industrielle de 1815 à 1820 eût sans doute été moins grave si le développement de la technique avait marché du même pas que celui de la production. Mais les fabricants, assurés jusqu’alors de l’écoulement rapide de leurs produits sur l’immense marché de l’Empire, ne s’étaient guère souciés de perfectionner leur outillage. Le bas prix du travail suffisait à garantir et même à augmenter leur situation. Protégés contre la concurrence, ils n’éprouvaient guère le besoin d’innover. Leurs bénéfices servaient à multiplier beaucoup plus qu’à moderniser leurs établissements. La métallurgie, par exemple, continuait à employer des méthodes vieillies et depuis longtemps abandonnées en Angleterre[1]. L’activité des entrepreneurs contrastait avec leur manque d’initiative. Il y avait sans doute quelques exceptions. Dans le pays de Liège notamment, des progrès remarquables avaient été réalisés. John Cockerill commençait à répandre l’emploi des machines de Manchester[2]. Mais ce n’étaient là que les prodromes d’une transformation peu prononcée encore quand l’Empire s’écroula.

Cet écroulement fut, pour les fabricants belges, une double catastrophe. Non seulement il les privait tout à coup de leur unique marché, mais il ouvrait en même temps le pays à la concurrence anglaise. Un tarif douanier imposé par les Puissances en 1814 mettait fin au protectionnisme à l’abri duquel

  1. M. G. de Boer, Twee memoriën over den toestand der Britische en Zuid-Nederlandsche ijzerindustrie door G. M. Roentgen uit de jaren 1822 en 1823. Economisch-historisch Jaarboek, 1923.
  2. E. Mahaim, Les débuts de l’établissement John Cockerill à Seraing. Vierteljahrschrift für Social und Wirtschaftsgeschichte, 1905, p.627 et suiv. ; M. G. de Boer, Guillaume Ier et les débuts de l’industrie métallurgique en Belgique. Revue belge de philologie et d’histoire, t. III [1924], p. 527 et suiv.