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PUISSANCE DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE

qui, au moment décisif, en avaient pris la direction. En faisant entrer de Potter parmi eux, ils s’étaient assuré d’ailleurs le bénéfice de la popularité. Il était arrivé au moment de la victoire, juste à point pour en récolter les fruits sans en avoir couru les dangers. Mais son prestige était trop grand pour n’être pas indispensable, et ses collègues se résignèrent, en acceptant sa primauté, à sacrifier leur amour-propre au salut public. En s’associant à leur autorité improvisée, il la légitimait. Dès les premiers jours d’octobre, des députations apportaient au Gouvernement provisoire, l’adhésion de toutes les provinces.

Il se sentait soutenu aussi par l’union des partis. Sans doute, la plupart de ses membres appartenaient aux diverses nuances de l’opinion libérale et beaucoup d’entre eux « n’allaient pas à la messe ». Mais la présence de Félix de Mérode suffisait à rassurer les catholiques. Personne ne songeait, au surplus, à soulever des questions irritantes. L’unanimité du sentiment patriotique s’accompagnait d’une confiance généreuse des uns dans les autres. Les catholiques s’abstinrent de revendiquer dans le Gouvernement provisoire une importance en rapport avec la majorité qu’ils possédaient dans le pays. Ils firent confiance à ces libéraux qui, depuis le début des événements, s’étaient toujours, en dépit de leur petit nombre, trouvés à l’avant-garde, et leur confiance fut bien placée. L’esprit national l’emporta sur l’esprit de parti. La jalousie et les intrigues qui, mettant aux prises les Vonckistes et les Vandernootistes, avaient provoqué la chute de la Révolution brabançonne, furent épargnées à la Révolution de 1830.

En fait, les pouvoirs du Gouvernement provisoire étaient illimités. N’ayant reçu aucune délégation, il n’avait non plus de comptes à rendre à personne. Il jouissait « d’une puissance arbitraire et dictatoriale »[1] dont il n’appartenait qu’à lui de fixer les limites. Dans les circonstances où l’on se trouvait, il était indispensable qu’il en fût ainsi. Tout étant à faire et tout pressant, il fallait que le pouvoir exécutif n’eût d’autre souci que celui de décider, que personne n’eût à

  1. J’emprunte ces mots très justes à de Gerlache, op. cit., t. II, p. 84.