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pression dans leurs anciennes chroniques. Le succès aidant, ils s’enhardissent et finissent par pénétrer au delà du détroit de Messine et par faire la course dans l’Archipel. Mais les Vénitiens s’intéressaient fort peu au conflit de la Croix et du Croissant. Ils entendaient se réserver le marché de Constantinople et la navigation du Levant. Et leurs flottes n’hésitèrent même pas à assaillir les navires pisans qui ravitaillaient les croisés.

Il était impossible, après l’établissement des chrétiens en Palestine, de persister dans une telle attitude. Bon gré, mal gré, il fallut bien laisser les bateaux de Pise et de Gênes collaborer au trafic maritime entre les États croisés de la côte syrienne et l’Occident. Le transport continuel des pèlerins, des renforts militaires, des vivres et approvisionnements de toute sorte, fit de cette navigation une source si abondante de profits, que l’esprit religieux qui avait animé d’abord les marins des deux villes se subordonna à l’esprit commercial. Bientôt ce ne fut plus seulement vers les ports chrétiens mais aussi vers les ports musulmans que se dirigèrent les navires. Dès le xiie siècle, ils fréquentent assidûment Kaïrouan, Tunis, Alexandrie. Les Pisans, en 1111, et les Génois, en 1155, obtiennent des privilèges commerciaux à Constantinople. Des colonies vénitiennes, pisanes, génoises s’établissent dans les centres commerciaux du Levant, groupées chacune sous la juridiction de consuls nationaux. Et le mouvement ne tarde pas à gagner de proche en proche. Marseille et Barcelone se mettent en branle à leur tour ; les Provençaux et les Catalans s’aventurent sur les routes ouvertes par les Italiens. Dès la fin du xie siècle, on peut dire que la Méditerranée est reconquise à la navigation chrétienne. Si les Musulmans et les Byzantins font le cabotage sur leurs côtes, la navigation au long cours est tout entière livrée aux Occidentaux. Leurs navires sont partout dans les ports d’Asie et d’Afrique, tandis qu’on ne voit pas de navires grecs ou musulmans dans les ports d’Italie, de Catalogne et de Provence. La deuxième Croisade s’est encore faite par terre, mais la troisième et toutes les suivantes se font par mer. Ce sont de fructueuses entreprises de transports. La quatrième a été bien autre chose encore : elle a été détournée par Venise à son profit et indirectement au profit des autres villes maritimes.

Le plan consistait à attaquer les Musulmans en Égypte, et de là, à reprendre la côte de Palestine. Les croisés s’étaient arrangés avec le doge, Henri Dandolo : la flotte vénitienne devait trans-