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La tenue des livres en partie double remonte, semble-t-il, à 1494, mais si intéressants que soient ces faits, ils ne peuvent suffire à marquer le point de départ d’une nouvelle période de l’histoire économique. Ils trahissent irrécusablement une tendance au développement du capitalisme, du commerce et des affaires, et pourtant si on envisage l’époque dans son ensemble, on découvre sans peine qu’un de ses traits les plus apparents consiste dans son hostilité au capitalisme, sauf en Italie.

La raison doit en être cherchée dans l’évolution subie par la bourgeoisie, c’est-à-dire par la classe dans laquelle se concentre tout entière l’activité commerciale et industrielle. Sauf de très rares exception, dont Venise est la plus éclatante à partir de la fin du xiiie siècle, la prépondérance des métiers se substitue plus ou moins complètement, dans chaque ville, à celle des patriciens.

Si les artisans ne parviennent pas à s’emparer du gouvernement politique local, ils réussissent au moins à soumettre à leur influence l’organisation de l’économie municipale. Cela revient à dire que du contrôle des grands marchands, elle passe sous celui des petits producteurs et que l’esprit dont elle s’inspire désormais subit une transposition correspondante.

Tels qu’ils apparaissent à l’origine, les métiers sont des groupements libres d’artisans de la même profession, unis pour la défense de leurs intérêts communs. On peut très exactement les comparer, quant à leur but, aux syndicats volontaires de nos jours. La grande affaire pour eux est de réglementer la concurrence. Tout nouveau venu, sous peine de boycottage, doit s’affilier à leur corporation. On comprend ce qu’une semblable situation a dû produire à l’origine de troubles et de luttes entre les confrères syndiqués et les récalcitrants, qui refusaient de sacrifier leur liberté. Le pouvoir municipal était aussi intéressé que les artisans eux-mêmes à faire cesser ces désordres. TI suffisait pour cela de donner aux métiers une consécration légale, en d’autres termes, de les transformer de syndicats volontaires en syndicats obligatoires reconnus par l’autorité communale. Les exemples les plus anciens de cette transformation remontent au xiie siècle ; au commencement du xive siècle, elle est générale et, les mêmes causes produisant partout les mêmes effets, elle a accompli son tour d’Europe. Désormais, dans chaque ville, chaque profession est le monopole d’un groupe privilégié de maîtres. Ceux-là seuls peuvent l’exercer qui ont été officiellement admis comme membres du groupe. Partout, dans ses