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est impossible de l’en séparer. Il lui arrive de reprendre son empire sous le choc d’une puissante excitation morale, ce qui explique le succès prodigieux de Savonarole dans la Florence si riche, si luxueuse, si libertine de la fin du xve siècle, et les autodafe de bijoux, de parures, d’instruments de musique, de livres et d’œuvres d’art, misérables vanités mondaines, que provoquèrent ses sermons. Mais ce n’est là qu’une flamme momentanée, arrachée à un foyer qui s’éteint sous ses cendres. La vie est désormais trop prenante, trop absorbante, trop passionnante pour que les esprits, même les plus nobles, puissent se sentir à l’aise dans une conception qui la condamne. Pour les autres, ils s’y abandonnent et cela d’autant plus facilement que le clergé, dans sa plus grande partie, leur en donne l’exemple. Car lui-même se laisse entraîner par le courant. La cour pontificale affiche le luxe le plus éclatant et rien n’est moins édifiant que la conduite des prêtres séculiers. Les moines eux-mêmes, dans l’Église tourmentée et ébranlée du xve siècle, les moines surtout peut-être, contribuent à l’attiédissement de la foi. Non sans doute que leurs mœurs justifient les attaques, les sarcasmes, le mépris que la littérature se met si largement à déverser sur eux. Les cloîtres restent encore l’asile de quantité d’âmes hautes et pures. Mais, dans l’ensemble, ils ne répondent plus à leur mission parce qu’ils ne sont plus adaptés aux besoins et aux exigences du moment. La formation scolastique et mystique des moines les rend trop étrangers aux idées régnantes pour qu’ils puissent encore agir sur elles. L’aristocratie lettrée les considère comme les représentants d’une époque dépassée ; ils lui font pitié, et entre la pitié et le dédain, la distance est bientôt franchie. Eux-mêmes le sentent et se résignent à n’exercer plus qu’un apostolat populaire qui les dégrade parce qu’il n’est pas volontairement consenti. Leur recrutement d’ailleurs ne se fait plus qu’au sein du peuple et de la petite bourgeoisie, et il est certain que quantité de leurs nouveaux confrères ne le sont devenus que pour mener une vie assurée à l’abri de la règle conventuelle. C’en est donc fait du prestige exercé si longtemps par les Franciscains et les Dominicains. Les laïcs instruits n’en parlent plus que sur le ton du persiflage et les pieux récits que l’on se transmettait jadis à leur propos ont fait place à des histoires salées incessamment renouvelées par la chronique scandaleuse. Il faudra attendre, pour que les moines reprennent leur action sur le monde, qu’un nouvel ordre apparaisse, celui des Jésuites, chez lequel l’ascétisme s’emparera, pour en