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dérables, sont des gens intéressés dans des compagnies italiennes ou des courtiers. Un grand commerce, une grande banque n’existent pas au nord des Alpes. En Flandre même, le capital qui alimente l’industrie drapière, qui fournit la laine, est presqu’exclusivement un capital italien.

Or cette situation commence à se transformer dès la première moitié du xve siècle. Une nouvelle classe de capitalistes se manifeste un peu partout en Flandre, en France, en Angleterre, dans les villes de l’Allemagne du sud en relations avec Venise. Elle se compose d’hommes nouveaux. Elle n’est en rien la continuation du vieux patriciat. C’est un groupe d’aventuriers, de parvenus, comme tous les groupes qui entrent en scène à chaque transformation économique. Ils ne travaillent pas avec le vieux capital accumulé. Celui-ci ne vient à eux que plus tard. De même que les mercatores du xiie siècle, de même que les inventeurs et les industriels de la fin du xviiie et du xixe siècles, ces pionniers apportent comme simple mise du jeu de la fortune, leur énergie et leur intelligence ou leur entregent.

Ils ont une devise, l’éternelle devise des conquistadors de la richesse : liberté. C’est la liberté que leurs prédécesseurs du xiie siècle avaient réclamée contre les entraves de régime agricole et féodal qui empêchaient l’expansion du commerce. Eux, celle qu’ils réclament, c’est celle qui les affranchira de la réglementation urbaine des monopoles de métiers, des restrictions apportées à l’achat et à la vente, du contrôle des halles, de la violence des étappes, des salaires fixés par la loi, de l’apprentissage officiel, des privilèges qui, dans chaque ville, réservent le commerce aux bourgeois et réduisent l’étranger à la condition de paria. Pour eux, ils prétendent faire entrer l’industrie et le commerce dans le droit commun, les arracher à l’exclusivisme municipal, les débarrasser de ces privilèges qui étaient indispensables sans doute durant leur enfance, mais dont le poids les empêche maintenant de se développer. Ce qu’ils réclament, c’est la « naturelle liberté », la liberté tout court et non plus la liberté restrictive comprise à la bourgeoise et qui est aussi incompatible avec la liberté générale que la « liberté » de la noblesse l’était jadis avec celle des vilains. Ils veulent que les villes soient accessibles à tous, que chacun puisse participer à leur commerce, qu’elles cessent enfin de n’être des villes que « pour leurs bourgeois ». Mais ils veulent aussi pouvoir industrialiser la campagne ; puiser dans ce grand réservoir de