Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/426

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l’on peut dire, perd son indépendance en se subordonnant à un système nouveau qui est celui de la manufacture. L’industrie urbaine, entourée comme d’un rempart de ses privilèges contre le capital, arrive à se maintenir dans le domaine de la production destinée au marché local. Ses métiers persisteront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Partout ailleurs, à moins qu’il ne s’agisse de quelques industries spéciales d’art, elle est forcée d’abandonner la lutte. Tout le développement industriel nouveau depuis le xve siècle se fait contre elle et en dehors d’elle. La draperie flamande urbaine, la grande industrie d’exportation du Moyen Age, tombe en décadence depuis le milieu du xive siècle. Elle ne peut pas lutter, à cause de ses prix trop élevés et de son conservatisme, contre la concurrence que lui fait la nouvelle draperie anglaise et celle de la draperie rurale. L’industrie de la toile qui la remplacera jusqu’à l’âge des fabriques, est toute rurale.

Naturellement l’organisation du commerce a sauté comme celle de l’industrie sous la pression du capitalisme et de la liberté. Toutes les restrictions dont on l’a entourée, halles, courtiers, obligations de ne faire de transactions que par l’intermédiaire des bourgeois, ne sont plus pour le commerce que des entraves qui le gênent. L’exemple de Bruges est caractéristique. Dès le milieu du xvesiècle, sa clientèle cosmopolite se met à la quitter pour se diriger vers le jeune port d’Anvers. Ici, la tradition ne pèse pas sur les affaires. Le commerce peut s’organiser du premier coup suivant l’esprit nouveau. C’est la ville qui convient à l’avenir, car on remarque bien en histoire économique qu’à des besoins nouveaux correspond un déplacement de classes sociales comme de centres des affaires. En Angleterre apparaissent les Merchant adventurers pendant que la marine hollandaise commence à se substituer à celle de la Hanse. Au moment où cette évolution est déjà largement dessinée, s’ouvrent des champs illimités par la découverte du Nouveau Monde. Elle a tellement modifié la surface du globe qu’elle apparaît presque comme une catastrophe planétaire. On ne peut lui comparer, comme ayant eu des résultats analogues aux siens, quoique dans des proportions beaucoup moindres, que l’expansion de l’Islam. Elle aussi avait bouleversé la surface de la terre, transformé les populations, changé les langues, acclimaté sous des cieux étrangers de nouvelles cultures ; elle avait, dans une certaine mesure, orientalisé l’Occident. Mais combien tout cela le cède en grandeur à la transformation de l’Atlantique en une mer intérieure, à la découverte du