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multiplient, vers le commencement du xve siècle, le nombre des être errants n’ayant d’autres ressources que l’aumône, au point d’en faire une véritable plaie sociale. Aussi commence-t-on à les poursuivre impitoyablement, dans l’espoir de forcer au travail ceux d’entre eux au moins qui sont valides. Les premiers règlements administratifs dirigés contre la mendicité ne l’autorisent que pour les enfants, les vieillards et les infirmes, et cherchent à en détourner les autres par la terreur de châtiments corporels. Ce n’était là évidemment qu’un palliatif. On comprit, depuis le commencement du xvie siècle, qu’il fallait attaquer le mal dans sa racine et faire disparaître la mendicité en en prévenant la cause. De là, par exemple, la réforme yproise de la bienfaisance en 1525 sous l’innuence de Vivès qui, par la concentration des ressources de tous les établissements charitables de la ville, l’institution de visiteurs des pauvres et l’envoi des enfants assistés à l’école ou leur mise en apprentissage, cherche à éteindre le paupérisme en mettant le pauvre à même de gagner sa vie. Dans tous les pays, on trouve depuis lors des essais du même genre. Et il est intéressant de constater qu’ils sont surtout nombreux et prospères là où le développement du capitalisme et de la manufacture permet aux œuvres de charité le placement de leurs pupilles. L’exemple de la Hollande et surtout de l’Angleterre est à cet égard tout à fait significatif. Les lois anglaises de 1551 et de 1562 sur le travail des pauvres sont les précurseurs du fameux Act for the relief of the poor de 1601, si admirablement adapté aux nécessités de l’industrie moderne qu’il a subsisté jusqu’à nos jours dans ses traits essentiels.

A l’organisation de la bienfaisance se réduit d’ailleurs l’apport de la société nouvelle en matière de législation sociale. Elle s’est bornée à forcer le pauvre au travail, elle n’a pas cherché, comme l’auraient fait les villes du Moyen Age, à réglementer le travail lui-même. Jusqu’au xixe siècle, elle l’a abandonné à la liberté, et cela dénote bien le caractère capitaliste dont s’imprègne désormais le monde économique.

On ne peut donc s’étonner que, depuis la seconde moitié du xve siècle, apparaisse en même temps que l’industrie libre et grandissant avec elle, un prolétariat dont l’histoire est encore à écrire. Le Moyen Age avait connu à vrai dire, dans les ouvriers de la draperie d’exportation en Flandre et à Florence, une classe de salariés qui se rapprochait fort de la condition des prolétaires. Elle en différait pourtant par l’organisation que lui donnait le régime corpo-