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éloignement d’Allemagne, la féodalité romaine se relève toujours après avoir plié. Sous Othon II, les Crescenzi sont aussi puissants à Rome qu’Alberto l’a été avant eux, et la défaite de Rossano n’a pas été pour diminuer leur influence.

Othon III fit le rêve confus de reconstituer l’alliance du pape et de l’empereur, suivant la théorie, non suivant la réalité carolingienne. Il rêva de faire de Rome le centre du double pouvoir qui de là gouvernerait la chrétienté dans une indissoluble union. À l’âge de 25 ans, il arrive dans la ville, fait élire son cousin Brunon sous le nom de Grégoire V (996) et reçoit de lui la couronne impériale. Puis à sa mort, il choisit pour monter sur le trône de Saint Pierre, le plus savant homme de son temps, Gerbert, archevêque de Reims, puis de Ravenne, qui prend le nom de Silvestre II, rappelant ainsi ce Silvestre Ier dont la légende veut qu’il ait baptisé Constantin. L’empereur s’installe à côté de lui sur l’Aventin, dans un palais dont la pompe rappelle celle de Byzance et dont l’étiquette emprunte son austérité aux règles monastiques. Perdu dans les rêveries idéalistes où se retrouvent l’influence de sa mère Théophano et des évêques qui l’ont élevé, il semble avoir cru possible de faire à nouveau de Rome mais d’une Rome où le pape partagera le pouvoir de l’empereur, le centre du monde. Ni lui, ni Gerbert, perdus dans leurs rêves, n’ont vu la réalité. Elle s’est cruellement vengée. Une révolte des Romains l’obligea à fuir ; il mourut le 23 janvier 1002, à Paterno, au pied du Mont Soracte, de son rêve brisé.

Et de nouveau les factions se disputent la ville, les Crescenzi d’un côté, les comtes de Tusculum de l’autre. Benoît VIII, qui est la créature de ceux-ci se maintient en appelant à l’aide Henri II, comme Jean XII avait appelé Othon. Son successeur est son frère Jean XIX (1024-1033), un laïque, qui en un jour a reçu tous les grades de la cléricature. Il couronne Conrad II. Après lui, un troisième membre de la famille de Tusculum est élu : Benoît IX. Les Crescenzi le chassent et le remplacent par Sylvestre III, qui au bout de peu de temps est expulsé à son tour par son adversaire, rentrant à la tête de son parti. Sylvestre vend alors son titre à Grégoire VI. Il y a trois papes à la fois !

Le rétablissement de l’Empire n’a donc pas servi à renforcer la papauté. Sauf Othon III, les nouveaux empereurs ne reprennent pas la tradition carolingienne. Ils gouvernent avec l’Église, c’est-à-dire avec les évêques mais pas avec le pape. Il ne leur sert qu’à les couronner.