Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/227

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évangélique, tandis que l’empereur, recevant du peuple romain le gouvernement du monde, serait l’organisateur de la société temporelle et réduirait le pape au rang d’un simple prêtre. Ainsi, par une curieuse rencontre, l’Antiquité inspirait également le roi d’Allemagne et le révolutionnaire italien. Mais comment auraient-ils pu s’entendre ? Le premier faisait dériver du peuple les droits de l’empereur et attendait de lui une rénovation du monde. Le second ne voyait dans le pouvoir impérial que la domination sur le monde tel qu’il était ou plutôt tel qu’il apparaissait à ses yeux de guerrier et de féodal. Pour Frédéric comme pour le pape, Arnould n’était qu’un dangereux hérétique. Il le livra à Adrien IV, qui le fit périr sur le bûcher.

Rentré dans Rome au milieu des chevaliers allemands, le pape semblait l’obligé de Frédéric et celui-ci put croire lorsqu’il reçut à Saint-Pierre la couronne impériale (18 juin 1155), qu’elle serait désormais à l’abri des atteintes de la papauté. Mais Adrien n’avait rien abandonné des prétentions du Saint-Siège. Frédéric était à peine de retour en Allemagne qu’il s’en aperçut avec indignation. Le légat Rolandi allait jusqu’à se permettre de traiter l’Empire, en sa présence de « bénéfice » (fief) du Saint Père. En même temps les communes lombardes accentuaient leur indépendance et, sous la conduite de Milan, se préparaient manifestement à la guerre. Cette fois, l’empereur était décidé à frapper un grand coup et à terrasser ses adversaires. En 1158, il était de nouveau en Lombardie, faisait proclamer derechef et dans les formes les plus solennelles ses droits souverains (regalia), condamnait comme une rébellion frivole et criminelle la liberté des villes, ordonnait la démolition de leurs murailles et les soumettait, à la juridiction de « podestats » nommés par lui. La hauteur méprisante de son langage et de son attitude ne fit qu’enflammer la résistance. La chevalerie allemande voyait, avec autant de surprise que de colère, de simples bourgeois l’affronter en rase campagne et s’exaspérait de ne pouvoir emporter d’assaut les remparts que défendait victorieusement cette canaille. Le contraste des nationalités ajoutait encore à la haine des combattants, mais ce qui était en jeu, c’étaient deux formes sociales incompatibles : d’une part l’absolutisme soutenu par une aristocratie militaire, de l’autre, l’autonomie politique et la liberté municipale pour lesquels étaient prêts à mourir ceux qui les proclamaient. A six siècles de distance et dans un cadre plus étroit, la résistance des bourgeoisies lombardes A Frédéric Barberousse, c’est la ré-