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Cinq provinces frontières seulement, en tout ou en partie, sont devenues de langue germanique, sans compter la Bretagne insulaire : la Belgique seconde où l’on parle flamand, les deux Germanies (province rhénane, Alsace), la Rhétie et le Norique (Suisse, Bâle, Wurtemberg, Bavière méridionale, Autriche) où l’on parle allemand. Partout ailleurs le latin s’est conservé jusqu’à nos jours sous la forme qu’il a prise dans les diverses langues romanes : français, provençal, espagnol, portugais, romanche, italien. Ce n’est que sur l’extrême frontière de l’Empire que les Germains ont glissé en masse et ont noyé au milieu d’eux la population latinisée, qui devait d’ailleurs, dans ces territoires si menacés, s’être singulièrement raréfiée. Partout ailleurs le phénomène contraire s’est opéré. Les Germains, qui ont pénétré plus profondément dans l’Empire, s’y trouvant en minorité, ont eux-mêmes été absorbés par les provinciaux. Au bout de deux ou trois générations leur langue a disparu ; les croisements par mariage ont fait le reste. Le nombre des mots français ou provencaux d’origine germanique ne s’élève guère au delà de 500. On chercherait vainement aujourd’hui parmi les populations de Provence, d’Espagne et d’Italie, les cheveux blonds et les yeux bleus des envahisseurs du ve siècle (et si l’on en trouve, ne s’agira-t-il pas de Gaulois ?). Les mœurs et les coutumes n’ont pas mieux résisté. Les monuments que nous avons conservés du droit wisigothique, par exemple, nous le montrent dès le vie siècle, complètement romanisé. Ceci prouve combien à voir les choses au vrai, la germanisation de l’Empire dans son ensemble a été superficielle. Il n’est donc pas exact de dire que le monde romain se soit germanisé. Il s’est barbarisé, ce qui n’est pas la même chose.

À l’exception des Anglo-Saxons de Bretagne, les peuples germaniques n’ont pas transporté leurs institutions politiques dans l’Empire. Et l’exception confirme la règle : en Bretagne, en effet, les provinciaux se retirèrent devant les envahisseurs, et ceux-ci, se trouvant seuls, continuèrent naturellement à se gouverner comme ils l’avaient fait dans leur ancienne patrie. Mais partout ailleurs la population romaine, non seulement resta sur place, mais y resta à peu de chose près dans les mêmes conditions d’existence où elle s’y trouvait avant la conquête. Il y eut évidemment, et en très grand nombre, des pillages, des massacres, des violences individuelles ; il n’y eut pas de spoliation systématique et moins encore d’asservissement. Il n’y eût pas plus de résistance nationale