Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/256

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fait épouser à son bâtard Enzio l’héritière de Sardaigne et-lui donne le titre de roi. De ses promesses à la papauté, rien ne subsiste plus. Il a oublié que la Sardaigne est comme la Sicile un fief de Rome, et l’Église sicilienne est plus que jamais soumise au pouvoir laïque. D’ailleurs les États de Saint-Pierre enserrés désormais au sud et au nord entre les possessions impériales sont menacés de tomber sous leur dépendance. Grégoire IX agit cette fois comme souverain en même temps que comme chef de l’Église. De nouveau l’excommunication est lancée contre Frédéric (1239), en même temps que ses sujets sont déliés de leur devoir d’obéissance à son égard. Une furieuse lutte de pamphlets s’engage, l’empereur reprochant au pape sa perfidie et son ingratitude, le pape taxant l’empereur de parjure et d’hérésie. Frédéric en appelle au jugement d’un concile entre lui et son adversaire, et quand celui-ci le prend au mot et convoque à Rome les évêques, il fait attaquer les vaisseaux qui les portent, s’en empare et retient les prélats en captivité. La mort empêcha Grégoire IX (1241) de prendre sa revanche et la longue vacance du Saint-Siège laissa quelque répit à Frédéric. Mais Innocent IV, à peine élu (1243), réunit le Concile à Lyon et, après avoir fait instruire devant l’assemblée le procès de l’empereur, le déposa solennellement et fulmina l’excommunication contre ses adhérents.

Jadis, les empereurs excommuniés par les papes, les faisaient déposer par un synode allemand et remplacer par un anti-pape. Ces temps étaient passés sans retour. L’Église tout entière obéissait à Rome. Déjà en Allemagne les archevêques de Mayence et de Cologne proclamaient roi le Landgrave de Thuringe, Henri Raspon (mai 1246), qui mourut quelques mois plus tard et auquel succéda un second anti-roi, comme lui simple instrument d’Innocent IV, le comte Guillaume de Hollande (octobre 1247). Il ne restait à Frédéric que de chercher à solidariser sa cause à celle des autres rois. Il n’y manqua point. Tout en recommençant à combattre contre les villes lombardes de nouveau soulevées, il exhortait les souverains à le soutenir, et dans leur propre intérêt, à ne pas permettre que le pape disposât à son gré de la puissance temporelle. Ses protestations n’eurent pas d’écho et ne pouvaient en avoir. Quoiqu’il dît, sa cause ne se confondait pas du tout avec celle des monarques nationaux et héréditaires qui régnaient en Angleterre et en France. Ceux-ci sentaient bien que le pape n’avait aucune prise sur leurs couronnes, et que leur droit dynastique n’était en rien compromis dans la querelle des Hohenstaufen. Frédéric ou-