Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/302

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Pierre au-dessus des princes et des États. « C’est pourquoi », lui disait-il, « ne crois pas ceux qui voudraient te persuader que tu n’as pas de supérieur. Qui pense ainsi se trompe, et qui persiste dans cette erreur est un infidèle ». Innocent III n’aurait pas parle autrement, et Saint Thomas d’Aquin, au milieu du siècle, avait longuement exposé la théorie dont s’inspirent ces paroles. Elles suscitèrent cette fois, parmi les juristes et les docteurs, des contradicteurs passionnés. Pierre Dubois, Jean de Paris, l’auteur du Dialogue entre un clerc et un chevalier, repoussèrent avec indignation la prétention du pape d’intervenir en matière temporelle. Sa compétence ne s’étend, d’après eux, qu’aux matières purement religieuses. Ils vont jusqu’à discuter la légitimité de sa souveraineté romaine et l’un d’eux (Jean de Paris) fait remonter à la donation de Constantin la décadence de l’Église ! Frédéric II et Pierre de la Vigne avaient déjà, ou à peu près, dit tout cela. Ces discussions d’ailleurs n’agitaient que les lettrés et la crise n’eut pas été bien grave si elle se fut bornée à une bataille de pamphlets. Mais Philippe le Bel, comme Édouard Ier l’année précédente, et sans doute s’inspirant de son exemple, résolut de faire de sa querelle la querelle de son peuple. La France n’avait pas de Parlement. Jamais encore les délégués de toute la nation n’avaient été appelés à conseiller la couronne. Ce fut ce grand débat où le principe même de la souveraineté royale était en jeu qui fut l’occasion de la première réunion des États généraux, début digne de ces assemblées dont la dernière devait, cinq siècles plus tard, proclamer les droits de l’homme et ouvrir la Révolution.

Les délégués du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie, se réunirent à Notre-Dame de Paris, le 10 avril 1302. L’opinion avait été adroitement surexcitée par des manœuvres dans lesquelles se trahit bien l’esprit d’un gouvernement à qui tous les moyens sont bons s’ils donnent le succès. De fausses bulles outrageantes pour le roi, une fausse réponse outrageante pour le pape avaient été largement répandues, procédés encore grossiers mais caractéristiques d’une époque où la politique commençait à sentir le besoin de s’appuyer sur le sentiment populaire. Pierre Flote exposa la querelle devant les États. Tous, le clergé comme les laïcs se déclarèrent avec enthousiasme pour le roi. Le clergé fit parvenir au pape sa réponse en langue latine, les deux autres ordres adressèrent la leur en français aux cardinaux.

Dès lors, la cause du pape était perdue. Les États généraux,