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de simples salariés. Des émeutes éclatent, des grèves, et dans plusieurs pays se fondent des « compagnonnages », associations mutuelles de travailleurs groupés pour défendre leurs intérêts contre les patrons. Bref, les abus sont si visibles que depuis le commencement du xve siècle, des voix se font entendre çà et là réclamant l’abolition des métiers et la liberté des professions.

La situation est bien plus grave dans les villes drapières qui, comme Florence en Italie, comme les villes flamandes et brabançonnes dans le nord, possèdent une véritable industrie d’exportation. L’organisation du métier, appropriée aux artisans vivant du marché local, est manifestement impuissante à satisfaire aux besoins de travailleurs produisant en masse pour un marché illimité. Il lui est impossible de protéger contre l’influence du capital, les tisserands, les foulons, les tondeurs, maîtres ou compagnons, qui s’entassent dans les ruelles de Gand, de Bruges et d’Ypres, ou dans les vicoli des bords de l’Arno. Ici, l’artisan est nécessairement subordonné au grand marchand qui lui fournit la laine et aux mains duquel revient, après les diverses manipulations qu’elle a subies, le produit fabriqué. Pour la forme extérieure, l’aspect est le même que dans les autres métiers : le travail à domicile domine là comme ailleurs. Mais le patron n’est plus qu’un salarié, employant lui-même d’autres salariés. Ajoutez à cela que les ouvriers de la draperie, au lieu de ne consister, comme dans les professions servant à l’entretien de la bourgeoisie, qu’en quelques dizaines d’individus, comprennent des centaines et même des milliers de travailleurs. Mais le grand commerce, qui occupe tous ces bras, est sujet à des crises. Qu’une guerre survienne, que l’exportation des laines anglaises soit interdite, et c’est le chômage avec toutes ses misères. Même en temps normal, les contestations sur les salaires sont incessantes, soit entre les marchands-entrepreneurs et les chefs d’ateliers, soit entre ceux-ci et leurs compagnons. Aussi, les travailleurs de la draperie dans les villes où celle-ci alimente une exportation considérable, se rapprochent-ils de la condition du prolétaire moderne. Et ils sont des prolétaires organisés. Car, comme les artisans proprement dits, eux aussi sont groupés en corporations, corporations que les exigences incroyables du grand commerce empêchent de dominer le marché et de réglementer les prix et les salaires, mais qui du moins leur donnent la force de s’opposer à une exploitation trop violente et de s’entr’aider aux époques de crise.

Le résultat politique de l’organisation corporative a été natu-