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considéré, et en réalité n’en constitue pas moins, l’Empire romain. Le titre de βασιλεὺς τῶν Ρωμαίων est même, à partir du ixe siècle, le titre officiel de l’empereur byzantin. Depuis Dioclétien, le gouvernement de l’Empire est souvent réparti entre deux empereurs, mais ce partage du pouvoir n’a pas mis fin à l’unité de l’Empire.

Parler, comme on le fait pour la facilité du langage, d’Empire d’Occident et d’Empire d’Orient, c’est employer des termes inexacts. En fait, quoique administrativement séparé en partie orientale et partie occidentale, l’Empire n’en forme pas moins un seul corps. Si le régent de l’une de ces deux moitiés vient à disparaître, elle se trouve placée, par cela même, sous le pouvoir de l’autre. Or c’est précisément ce qui arrive à l’époque des invasions. L’empereur d’Occident, ayant disparu, c’est l’empereur d’Orient qui se trouve seul désormais à la tête du monde. Aussi bien, nous l’avons vu, n’en a-t-il cédé aucune partie et son droit demeure-t-il intact à la possession de l’ensemble. Même après la conquête, le souvenir de sa suprématie n’a pas disparu. Les rois germaniques lui reconnaissent sur eux une sorte de primauté mal avouée, mais qu’ils trahissent par le respect qu’ils lui témoignent. Pour le pape, il reste le souverain légitime et la chancellerie pontificale continue à dater les bulles de l’année du consulat, c’est-à-dire de l’avènement de l’empereur byzantin. Dans l’Église d’ailleurs, la tradition se maintient de la nécessité et de l’éternité de l’Empire. Tertullien et Saint Augustin ne le proclament-ils pas d’ordre providentiel ?

Il est enfin un dernier motif pour lequel les Romains regrettent l’Empire. Leurs nouveaux maîtres, les rois germaniques, ne sont pas orthodoxes. Sauf celui des Francs, converti au catholicisme dès le début de la conquête de la Gaule par Clovis, les autres, Wisigoths, Ostrogoths et Vandales, professent l’arianisme. Cette hérésie, formidable au ive siècle et qui a fait couler des flots de sang en Orient, a beau y avoir cédé la place depuis longtemps, les Germains la conservent obstinément. À vrai dire, elle n’est pas très dangereuse. L’église arienne ne fait pas de prosélytes parmi la population romaine et l’on peut même croire qu’à mesure que les barbares se laissent absorber par celle-ci, le nombre de ses fidèles va sans cesse décroissant. Mais, enragée justement de son impuissance et sûre de la faveur des rois, elle se montre agressive et intolérante à l’égard du clergé catholique. Querelle de prêtres si l’on veut, mais qui aigrit et irrite la masse orthodoxe. En Italie, le conflit est même devenu si aigu que le pape, en désespoir de