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neufs, comme dans la Hollande du nord. Les villes aussi oppriment les campagnes en veillant soigneusement à y supprimer toute industrie. Gand organise des expéditions constantes au xive siècle pour détruire les métiers à tisser et les cuves à fouler dans les villages et les bourgs ruraux. Et les monastères n’étendent plus sur les « vilains »leur ancienne protection sociale, mais contribuent à leur misère par la perception de la dîme.

Quant à la noblesse, elle subit également une crise grave. Elle conserve les vieilles formes de la chevalerie, mais l’esprit n’y est plus. Il s’est dissipé en même temps qu’ont cessé les Croisades. De l’ancien idéalisme, je ne vois pas bien ce qui reste, si ce n’est une galanterie extérieure. La fidélité au seigneur n’est plus qu’un mot. Ce qui domine maintenant pour le chevalier, c’est son fief. L’hommage, ce beau mot, n’a plus guère pour lui que la valeur d’un enregistrement. Ce qui subsiste, c’est le caractère militaire de la classe noble. Mais il prend souvent l’aspect d’un service militaire mercenaire. Les chevaliers des bords du Rhin, de l’Autriche, de la Hesbaye, se louent aux rois de France dès le commencement du xive siècle. On voit apparaître des chevaliers errants combattant partout et pour toutes les causes, comme Froissart en a dessiné un bon nombre. Ce sont des militaires professionnels qui ne sont pas très loin des condottiere, chefs de bandes, routiers, pour lesquels la guerre est une profession lucrative. Duguesclin, l’un de ces chevaliers les plus typiques, est un pur soldat. La littérature de chansons de geste s’arrête ou se redit. Ce que ces gens-là lisent, ce sont des récits de campagnes, à propos de n’importe quoi, pour n’importe qui, avec des beaux profits, des fêtes, des femmes, comme Froissart les raconte. Au fond ce sont des aventuriers, pour la plupart très âpres encore que braves. Ce sont aussi des sportifs : voyez les tournois, les chasses à l’homme, l’hiver, en Lithuanie, et même une expédition comme celle de Nicopoli où ils vont se faire battre par les Turcs (1396). Ils vont aussi faire le coup de lance à Grenade.

La situation est bien pire encore là où les mœurs se sont conservées plus brutales, comme en Allemagne. C’est le Raubritter, espèce de bravo qui se sert du prétexte des fehden (guerres privées) pour rançonner les environs, bandit brutal aux marchands, tyran du village pour les paysans qui habitent au pied de son bourg, et qui fuit devant les Hussites ou les paysans suisses.

Car ce n’est plus cette noblesse militaire, qui gagne les ba-