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tailles. L’artillerie qui commence à se faire entendre à Crécy, ne joue encore qu’un rôle secondaire en campagne, mais l’infanterie reprend peu à peu la place qu’elle a perdue depuis l’époque carolingienne. Elle détruit, à Courtrai, la chevalerie française ; remporte les victoires suisses depuis 1315, fait la force de l’armée anglaise dont elle constitue les compagnies d’archers, et c’est sur elle que s’appuie la technique de Jean Ziska à la tête des Hussites. Ainsi le rôle de la noblesse et de la chevalerie, malgré les apparences, va diminuant sans cesse. Il est très caractéristique que la plus pure figure militaire du temps, Jeanne d’Arc, soit une paysanne. Et si au point de vue militaire, la noblesse est en recul, elle ne se distingue pas par ailleurs. Son rôle gouvernemental est nul. Elle ne se cultive pas plus que jadis. Évidemment les services qu’elle rend ne correspondent pas à la position qu’elle occupe. Et cela est d’autant plus frappant que cette situation est plus avantageuse que jamais. Le haut clergé, les chapitres, deviennent le monopole de cadets de famille. Le caractère démocratique de l’Église disparaît. Voyez des types de chanoine comme Jean le Bel et Froissart, des évêques comme Adolphe de la Marck ! Il s’ensuit une décadence énorme de la science et des mœurs dans le haut clergé, qui est devenu un clergé mondain au goût du jour.

A y regarder de près, ne trouverait-on pas chez la noblesse, dans son ensemble, une tendance analogue à celle que l’on constate chez le patriciat de la bourgeoisie ? Ni l’une ni l’autre ne se développent plus ; elles s’installent, pour ainsi dire, dans leur position acquise. Leur seul souci est de conserver leurs privilèges et leurs biens. Il n’y a plus chez elles d’idéalisme, et bien peu de désintéressement. Je pense aux grands exemples de dévouement de ce temps : les bourgeois de Calais, Étienne Marcel, van Artevelde : pas un noble parmi eux. Un Simon de Montfort (l’Anglais), un Villehardouin, un Joinville, ne se rencontrent plus au xive siècle. Les mœurs sont recouvertes d’un vernis d’élégance ; au fond, elles sont brutales. Il suffit de lire Froissart pour voir que ces nobles aiment surtout l’argent. Ce sont d’assez brutaux jouisseurs. Pas un d’eux ne se signale par sa piété ou par sa bienfaisance. Et je parle ici de ceux qui se mêlent au mouvement du monde. Les autres chassent, gèrent leurs biens et oppriment les paysans. Il est étonnant de constater à quel point cette noblesse si nombreuse du xive et du commencement du xve siècle est stérile.

Un flot nouveau commence pourtant à se répandre sur la vieille