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couche féodale et chevalière. Le xive siècle voit se former les premiers linéaments de ce que l’on pourrait appeler la noblesse de cour. Elle n’existe guère encore au xiiie siècle. Sans doute l’entourage du roi est alors, comme depuis toujours, composé de nobles. Mais leur position est indépendante de la cour. Ils y sont comme compagnons du roi. Ils ne forment pas sa maison. Il y avait une maison royale à l’époque franque, mélange assez confus de dignitaires et de serviteurs dont les noms s’étaient conservés dans ceux des grands officiers de la couronne. Mais dès que la monarchie est devenue forte, ils ont disparu ou se sont transformés en fonctionnaires ou en personnages d’apparat. L’hérédité de leurs charges qui les liait au roi s’en est allée. Leur évolution a été celle d’une domesticité royale de non libres, se muant en grands personnages héréditaires à l’époque féodale, pour disparaître lors de la reconstitution du pouvoir royal. Mais la royauté forte qui, depuis le xiie siècle a écrasé l’ancienne cour devait s’en créer une nouvelle.

Le noyau ne me paraît pas en être noble, mais roturier : conseillers, serviteurs pour l’argenterie, la garde-robe, etc. avec quelques clercs. Mais le roi peut-il être entouré de roturiers ? La cour est un séjour de noblesse. Le roi se met donc à anoblir ses officiers et fonctionnaires. Noblesse nouvelle tout à fait différente de l’ancienne chevalerie militaire. C’est maintenant le service civil et l’intelligence ou l’instruction qui la confèrent, plutôt que le service militaire et le courage. Et cette noblesse nouvelle dépend exclusivement des souverains. A l’origine, tout chevalier pouvait en « armer » un autre. Il n’en est plus ainsi au xive siècle. Le roi seul est la source de la noblesse et il le sera exclusivement jusqu’à la fin de l’ancien régime. Tout ce qui devient noble depuis la fin du xiiie siècle le devient par lui seul. Les nobles de robe se font leur place à côté des nobles d’épée, tels le chancelier Rolin, Jacques Cœur, tant d’autres.

C’est là un fait nouveau d’une importance sociale très grande. Il a, à mon sens, sauvé la noblesse qui déclinait comme caste militaire et ne pouvait s’enrichir parce qu’elle formait une caste juridique de plus en plus fermée. Par ces nouveaux venus lui arrivent des nouvelles recrues et des recrues en général très riches, grâce à leur participation au gouvernement. Elle les méprise, mais ce sont eux qui l’ont sauvée.

Ici encore, on retrouve l’influence de la tradition. Par sa formation et ses occupations, la noblesse de robe est une espèce de clergé