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Avec Wyclif s’ouvre, dans l’histoire religieuse, la voie qui aboutira à la Réforme. Il n’a plus rien de commun avec les hérétiques qui avant lui ont troublé l’Église et dont les doctrines se fondaient essentiellement, comme celle des Albigeois, sur le dualisme de l’esprit et de la chair. Bien différent d’eux, il n’apporte rien dans le christianisme qui n’y soit déjà. Ce n’est ni contre le dogme, ni contre la morale chrétienne qu’il s’insurge, mais tout simplement contre l’Église et, plus encore que contre l’Église, contre la papauté. Le seul chef de l’Église, enseigne-t-il, est le Christ. Sa parole, consignée dans la Bible, suffit au salut de celui qui a la foi. Or la Bible ignore cette puissante et opulente hiérarchie religieuse qu’est devenue l’Église. Son idéal est la pauvreté ; elle ne fait aucune différence entre le prêtre et le laïque et il en faut conclure que les prêtres sont soumis comme le reste des fidèles aux lois séculières et n’ont à revendiquer aucun privilège. L’Angleterre est absolument indépendante du pape, car le pouvoir temporel de son roi, de même que le pouvoir spirituel de l’Église, dérive directement de Dieu. Quant au pape, loin d’être le représentant du Christ sur la terre, il est proprement l’Antéchrist. Le peuple, pour pratiquer la vraie religion, doit en revenir à la Bible, qu’il ne connaît plus. Aussi, pour la lui faire connaître, le réformateur a-t-il entrepris de la traduire en langue vulgaire, inaugurant par ce grand travail l’histoire de la prose anglaise.

Jusqu’alors l’orthodoxie de l’Angleterre avait été telle que par une fortune singulière, il avait été inutile d’y introduire l’inquisition. Nul peuple n’avait été plus docile que le sien aux enseignements de l’Église quoique, depuis le règne d’Édouard Ier, il eût clairement manifesté sa volonté de lui interdire toute influence dans le domaine politique. En unissant dans sa campagne contre la papauté la question religieuse à la question politique, Wyclif ne pouvait manquer d’intéresser à la première tous ceux que passionnait la seconde. En quelques années, il compte des partisans enthousiastes tant dans la noblesse que dans la bourgeoisie, cependant que de nombreux membres du bas clergé s’attachaient à ses doctrines et sous le nom de « simples prêtres »(simple priests), les répandaient parmi le peuple qu’étonnaient et attiraient à la fois la simplicité évangélique de leurs mœurs et de leur conviction. Et à mesure que grandissait son action, le réformateur devenait plus hardi et plus radical. Il allait, au nom de la Bible, jusqu’à nier la transsubstantiation du Christ dans la communion. Le chancelier de l’Uni-