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Pour payer les armées, louer des mercenaires, subsidier des alliés, le roi s’endettera et le désordre sera bientôt si grand qu’il devra appeler à l’aide ces sujets qu’il n’ose taxer, convoquer les États généraux et leur demander l’argent qu’il n’a pas. Ce sera déchaîner une crise terrible. Ce sera ouvrir, en pleine guerre, une espèce de révolution qui fait penser à celle que l’Angleterre a traversée lors de la Grande Charte. Mais la situation en France est bien plus grave. Car la cohésion nationale que la conquête normande a donnée à l’Angleterre n’y existe pas. La royauté, qui a rejoint les membra disjecta du pays, en s’adressant au peuple, remet tout en question.

Ce sera le gâchis. Les ordres dont se composent les États généraux ne s’entendent pas. Le Tiers, appuyé sur les villes et qui a l’argent, voudra introduire des réformes que la royauté n’accepte pas. Les princes profiteront de l’occurrence pour reprendre une influence qu’ils ont perdue. Les luttes de partis susciteront les ambitions politiques des seigneurs du sang. Étienne Marcel prépare la lutte des Bourguignons et des Armagnacs. Sauf le règne réparateur de Charles V, on peut dire que, depuis les États généraux de 1355 jusqu’au règne de Louis XI, la France a été en proie à une double guerre intestine : du Tiers-État contre le roi, et des princes contre la couronne, tout cela au fond ayant sa source dans la crise fiscale rendue nécessaire par la constitution du royaume, crise de confiance, si l’on peut dire, nécessaire pour élever l’État de la conception capétienne à une conception plus complète, et dans laquelle, au milieu des désastres de la guerre étrangère, il semble qu’il soit sur le point de sombrer.

Rien n’indiquait encore, pendant les années qui précédèrent la grande guerre, que l’on dût en arriver là. Les trois fils de Philippe le Bel qui, faute d’enfants mâles, succèdent à tour de rôle à leur père : Louis X (1314-1316), Philippe V (1316-1322), Charles IV (1322-1328), profitent sans éclat de la situation qu’il leur a transmise. Aucune question nouvelle ne se pose. La papauté, établie à Avignon, est désormais pleine de prévenances pour la couronne ; on est en paix avec l’Angleterre dont le roi Édouard II, conformément aux stipulations du Traité de Montreuil, épouse Isabelle, la sœur des trois rois. Seule la guerre de Flandre se traîne durant quelques années pour aboutir enfin, sous Philippe V, au Traité de Paris (1320) qui cède au royaume les châtellenies de Lille, Douai et Orchies, et fait entrer par un mariage l’héritier du comté, Louis de Nevers, dans la famille royale.