Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions et des compétitions que Charles V avait interrompues sans en supprimer la cause. Les oncles du roi, chargés du gouvernement pendant sa minorité, s’appliquaient surtout à exploiter le pouvoir au profit de leur intérêt personnel. Louis d’Anjou, que la reine Jeanne de Naples venait de nommer son héritier, s’occupait de préparer une expédition en Italie ; Philippe de Bourgogne tournait anxieusement ses regards vers la Flandre, son futur héritage.

Depuis la peste noire, le renchérissement de la vie que n’avait pas compensé la hausse des salaires, y entretenait parmi la population industrielle des villes une agitation des plus dangereuses. Les tisserands, les plus nombreux les mieux organisés et les plus hardis des ouvriers drapiers, prenaient partout une attitude menaçante et se posaient en défenseurs des pauvres gens contre les riches. L’antagonisme social allait croissant d’année en année, excité encore par ce mysticisme communiste dont les adhérents se rencontraient en grand nombre au sein du prolétariat. En 1379, les tisserands de Gand avaient réussi à s’emparer du pouvoir et aussitôt leurs camarades de Bruges et d’Ypres les avaient imités. Dans cette Flandre où la grande industrie dominait depuis si longtemps déjà la vie urbaine et réduisait la plupart des travailleurs à la condition de salariés, le conflit économique latent entre les employeurs et les employés éclatait en une véritable lutte de classes. C’était bien plus que des droits politiques qu’exigeaient les révoltés. Qu’était-ce donc ? Ils n’auraient pu le dire nettement eux-mêmes, car c’était cet état indéfinissable vers lequel tendent à la fois les appétits les plus grossiers et le plus pur amour de la justice, et dont l’idée tour à tour console ou exaspère les malheureux. Leur victoire dans les trois grandes villes eut pour effet immédiat de rassembler contre eux et de grouper autour du comte tous ceux « qui avaient à perdre », marchands, entrepreneurs, courtiers, artisans enrichis, défenseurs de l’ordre qui garantissait leurs biens contre la révolution qui les menaçait. Les tisserands de Bruges et d’Ypres ne purent résister à la coalition de leurs ennemis. Mais ceux de Gand restèrent indomptables. Leur ville, bloquée par la chevalerie de Louis de Maele qui n’ose l’attaquer de vive force, attire au loin l’attention passionnée de tous ceux qui souffrent du gouvernement des riches et des puissants. Les métiers de Liège lui envoient des vivres ; à son exemple, Malines s’insurge, tandis qu’en France le peuple de Paris et de Rouen se soulève au cri de « Vive Gand ». Une véritable contagion sociale se répand de l’héroïque cité. Affa-