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Déjà sous Jean sans Peur (1404-1419), le successeur de Philippe le Hardi, on peut voir commencer l’évolution qui, du pur Valois qu’était encore son père, fait déjà de lui avant tout un prince bourguignon. Il n’est pas douteux que les intérêts de ses pays du nord, et en premier lieu de la Flandre, déterminent les principes de sa politique. L’industrie flamande l’oblige à ménager l’Angleterre dont il se rapproche dès le commencement de son règne, et, les Flamands reconnaissant le pape de Rome, il s’emploie de tout son pouvoir à amener la fin du schisme. En même temps, il s’applique à augmenter encore la situation de sa maison dans les Pays-Bas. Il fait épouser par son neveu Jean de Brabant, Jacqueline de Bavière, future héritière de Hainaut-Hollande. En 1408, il étend son influence jusqu’à la Meuse en venant au secours de l’évêque de Liège, Jean de Bavière, contre les Liégeois révoltés, qu’il taille en pièces à Othée.

Ces progrès de la puissance bourguignonne dans le nord menaçaient trop directement la France pour qu’elle pût y assister impassible. La folie du roi le mettant hors de cause, son frère, le duc d’Orléans, imprima au gouvernement une conduite entièrement hostile à Jean sans Peur. Le 23 novembre 1407, son rival le faisait assassiner. Ce fut le signal d’une guerre civile qui n’attendait que l’occasion d’éclater.

La défaite des Gantois à Roosebeke avait décidé, en 1382, du sort de l’insurrection parisienne. Rentrant victorieux dans sa capitale, le roi avait parlé en maître, supprimé les franchises de la ville, et mis fin à cette ère de réformes et de convocation des États généraux qui avait débuté avec Étienne Marcel. L’opposition vaincue n’en était que plus exaspérée. Il ne lui fallait qu’un chef pour qu’elle reprit les armes. Jean sans Peur, voyant se lever contre lui, sous la direction du comte d’Armagnac, les partisans du duc d’Orléans, lia aussitôt sa cause à celle de la démocratie urbaine. Il se posa en défenseur du peuple contre l’exploitation des nobles et de la cour, affecta des allures démagogiques et le cri de « Vive Bourgogne » remplaça dans Paris celui de « Vive Gand » qui y avait retenti vingt-cinq ans plus tôt. Ainsi, la politique dynastique qui, dans les Pays-Bas, faisait du duc l’ennemi des artisans liégeois, le mettait en France à la tête des artisans parisiens, lui faisait appuyer toutes leurs revendications, et marcher la main dans la main avec le boucher Caboche, laissant ses assommeurs massacrer les Armagnacs. Lorsque les États généraux qui n’avaient plus été réunis