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et auquel la mort de Charles VI avait fait prendre aussitôt le nom royal de Charles VII, paraissait bien précaire.

Il l’était pourtant beaucoup moins en réalité qu’en apparence. Les progrès des Anglais dans le nord avaient été favorisés par l’alliance bourguignonne. Mais Philippe le Bon ne pouvait évidemment laisser ses troupes opérer trop loin des Pays-Bas où sa politique devenait plus active que jamais. D’autre part, entre Bedfort et son frère Glocester, régent d’Angleterre, l’entente ne se maintenait qu’à grand’peine et il en résulta tout de suite une diminution de vigueur dans la conduite des opérations militaires. Enfin et surtout il fallait compter avec le sentiment national français. Sans doute, la proclamation d’Henri VI comme roi de France n’avait soulevé dans le peuple aucune indignation. On s’était borné a l’ignorer, ou à la considérer comme non avenue. En réalité, pour l’opinion française, il n’y avait pas deux rois en France, il n’y en avait qu’un seul légitime, seul possible, seul marqué par Dieu comme par la tradition : l’héritier du roi défunt, Charles VII. Ni les misères de la guerre, ni le poids des impôts, ni le mécontentement contre le gouvernement, ni la folie du dernier roi et les scandales provoqués par l’inconduite flagrante de la reine n’avaient affaibli au sein du peuple le sentiment dynastique. Il restait aussi universel et aussi profond que le sentiment religieux et jusque dans les campagnes les plus reculées, jusque parmi les descendants des pauvres Jacques massacrés en 1327, il entretenait pour le roi une vénération assez analogue à celle dont jouissaient les saints. Cette piété monarchique n’explique pas Jeanne d’Arc — le surhumain ne s’explique pas — mais elle en est pour ainsi dire le point de départ, la condition indispensable, comme la foi l’est au martyre. Sans elle, l’âme héroïque et visionnaire de la pastourelle de Domrémy n’aurait pas entendu ces voix qui ont fixé son destin. Sûrement elles ne lui eussent pas parlé si elle fût née dans la noblesse ou dans la bourgeoisie où l’idée du roi s’alliait à trop de considérations d’intérêt ou de politique. La conception haute, simple, pure et naïve qu’elle s’en faisait n’était possible que chez une enfant du peuple. Jeanne d’Arc n’est sans doute que l’expression sublime du sentiment national des paysans de France, sentiment national qui se confond avec la foi religieuse et que les souvenirs du bon roi Saint Louis ont indissolublement associé à la monarchie.

Par le contraste même qu’il présentait avec celui des Armagnacs de la cour, son royalisme populaire a dû contribuer grandement