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l’Allemagne avait été un État, c’eut été le moment pour elle d’imiter la conduite de la France et de l’Angleterre sous Boniface VIII et de mettre un terme aux humiliations dont la papauté abreuvait son roi. Les électeurs, appuyés par la Diète, se bornèrent à protester contre le droit que s’arrogeait le pape d’approuver le roi nommé par eux, et ce fut tout. Ils n’avaient vu dans la querelle qu’une occasion à exploiter pour renforcer le privilège injustifié qui les faisait disposer de la couronne. En somme, Louis de Bavière fut abandonné à lui-même. Sa brouille avec la maison de Luxembourg le perdit. Oubliant leurs déclarations d’indépendance, les électeurs, sommés par Clément VI de nommer un nouveau roi, vendirent leurs voix à Charles, marquis de Moravie, fils du roi de Bohême Jean l’Aveugle et petit-fils de Henri VII, qui prit le nom de Charles IV (1346).

Un heureux hasard avait permis à Henri VII, dès le début de son règne, de conclure le mariage de son fils Jean (l’Aveugle) avec l’héritière du royaume de Bohême. La maison de Luxembourg se trouvait ainsi transplantée de la frontière romane de l’Empire à sa frontière slave. Elle devait s’y maintenir pendant plus d’un siècle. Jean étant mort à Crécy peu de temps après l’élection de son fils, Charles IV se trouva donc réunir sur sa tête les couronnes d’Allemagne et de Bohême. En 1355, il y ajoutait la couronne impériale qu’il alla prendre à Rome en petit appareil et s’entourant de toutes les précautions nécessaires pour rester en bonne intelligence avec le pape. Il ne faut pas s’étonner qu’il se soit consacré avant tout à augmenter la situation de sa maison. Il avait ajouté à la Bohême et à la Moravie, la Silésie et la Lusace, et, en 1372, il y adjoignit la marche de Brandebourg. Une puissance compacte se formait ainsi à l’est de l’Allemagne mais ce n’était pas une puissance allemande. Le centre en était la Bohême où Charles s’appliqua à introduire une administration imitée de celle de la France.

La Bulle d’Or, par laquelle Charles IV avait décidément confirmé en 1356 les attributions et la composition du Collège des électeurs telles qu’elles devaient subsister jusqu’à la fin du xviiie siècle[1], lui avait concilié ces faiseurs de rois. Il parvint, sans devoir payer trop cher, à leur faire nommer de son vivant son

  1. Le Collège comprend trois électeurs ecclésiastiques : les prélats de Mayence, Trèves, Cologne, et quatre laïcs : le roi de Bohême, le comte Palatin du Rhin, le duc de Saxe, le marquis de Brandebourg.