Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/380

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à la longue dans tous les domaines de la vie sociale. On sait que jusqu’à nos jours l’architecture ecclésiastique a conservé en Russie les formes byzantines qui se sont alors imposées à elle, et la Ruskaja Pravda, le plus ancien recueil du droit russe, est aussi toute pénétrée de l’esprit et de la législation de Byzance.

Mais la situation de la Russie l’expose au contre-coup de toutes les agitations des peuples de l’Asie dont le territoire se prolonge, par cette grande plaine, vers les montagnes et les mers intérieures de la vraie Europe. Les steppes des bords de la Mer Noire et des bassins du Don et de la Volga étaient le domaine de hordes nomades d’origine turque ou mongole, contre lesquelles les principautés russes eurent perpétuellement à combattre.

La victoire du grand prince Jaroslav sur le plus puissant de ces peuples, les Petchénègues, en 1036, fit disparaître le danger pour quelque temps. Il reparut plus terrible lors de l’arrivée des Coumans. En 1096, leur khan s’avançait jusque sous les murs de Kiev ; et depuis cette date, les attaques de ces barbares féroces ne s’arrêtèrent plus. A partir du milieu du xiie siècle, il devient impossible de leur résister. La région de Kiev, jusqu’alors florissante, commence à s’appauvrir et à se dépeupler. Les barbares occupant les bouches du Dniéper, le commerce avec Constantinople dépérit. Le vide se fait peu à peu dans le pays, dont les habitants émigrent, les uns en Galicie et en Vollynie, les autres, en plus grand nombre, dans la direction du nord-est, vers le cours supérieur de la Volga (Sousdal).

Cette émigration du sud vers le nord détermina l’avenir du peuple russe. Non seulement elle lui imposa un nouveau genre de vie, mais elle changea même son caractère national. Les colons slaves de la Sousdalie s’y mélangèrent aux Finnois qui jusqu’alors avaient seuls habité ses immenses forêts et de ce croisement sortit le Russe moderne (Grand Russe). En même temps, une existence purement agricole se substitua à l’activité commerciale. Privés désormais de communications avec la mer, les Russes furent confinés pour de longs siècles dans une économie purement rurale et sans débouchés. Le voisinage de Constantinople leur avait fait pratiquer le commerce à une époque où il était encore inconnu dans l’Europe occidentale, et la fatalité des circonstances les en détournait au moment même où il y prenait son essor. A la différence du grand entrepôt international qu’avait été Kiev, les villes de la Russie du centre ne servirent — comme les châteaux de l’Occident au haut Moyen Age — qu’à la résidence de princes, de