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LIVRE IX


LA RENAISSANCE ET LA RÉFORME




La période qui s’écoule du commencement du xive siècle jusque vers le milieu du xive a fourni le spectacle d’une société agitée et tourmentée, se débattant contre la tradition qui l’oppresse et qu’elle ne parvient pas à secouer. La digue que le passé oppose à la poussée de l’avenir résiste ; elle paraît solide encore et pourtant, minée par des affouillements invisibles, tout à coup elle cède et les forces qu’elle retenait s’épanchent largement et donnent au paysage historique un aspect tout nouveau.

Jusqu’à la Renaissance l’histoire intellectuelle de l’Europe n’est qu’un chapitre de l’histoire de l’Église. Il y a si peu de pensée laïque que même ceux qui luttent contre l’Église sont entièrement dominés par elle et ne songent qu’à la transformer. Ce ne sont pas des penseurs libres, mais des hérétiques. Avec la Renaissance, la maîtrise de l’Église sur la pensée est mise en question. Le clerc perd le monopole de la science. La vie spirituelle à son tour se laïcise ; la philosophie cesse d’être la servante de la théologie, et l’art comme la littérature s’émancipent de la tutelle séculaire qui s’impose à eux depuis le viiie siècle. A l’idéal ascétique se substitue un idéal purement humain et cet idéal, on en trouve la plus haute expression dans l’Antiquité. L’humaniste prend la place du clerc comme la vertu (virtus) celle de la piété. Sans doute, si l’on peut dire avec assez d’exactitude que la Renaissance substitue l’homme au chrétien, elle n’est pas anti-religieuse. N’a-t-elle pas compté plusieurs papes parmi ses promoteurs les plus enthousiastes ? Mais il est très vrai de dire qu’elle est anti-cléricale. Non seulement pour les humanistes italiens, mais pour des chrétiens aussi convaincus qu’un Érasme ou un Thomas Morus, la prétention des théologiens de régenter la science, les lettres et même la morale, est aussi ridi-