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cule que malfaisante. Ils rêvent de concilier la religion avec le monde. Ils sont tolérants, peu dogmatiques, très hostiles au travail séculaire que la scolastique a superposé à la Bible. Ce qui les intéresse avant tout, ce sont les questions morales. Leur programme, que l’on trouve dans le Miles Christianus et dans l’Utopie, est celui d’un christianisme large, rationnel, tout à fait dépouillé de mysticisme et laissant subsister l’Église, non plus comme la fiancée de Jésus-Christ et la source de salut des âmes, mais comme une institution de moralisation et d’éducation dans le sens le plus élevé du mot. Ils sentent bien que pour l’amener à ce point, il faut la réformer. Mais ils sont optimistes et ils espèrent la pousser doucement à s’engager dans la voie nouvelle.

On peut donc dire que la Renaissance s’est posée à sa manière le problème religieux. Mais elle n’a fait qu’esquisser la solution modérée, prudente et aristocratique qu’elle lui préparait. La Réforme s’est jetée à la traverse avec la fougue, la violence, l’intolérance, mais aussi avec la foi profonde et le besoin passionné d’arriver à Dieu et au salut, qui devaient lui conquérir et lui subjuguer les âmes. Entre elle et la Renaissance, rien de commun. Elle en est, à proprement parler, l’opposé. Elle remet le chrétien à la place de l’homme, elle raille et humilie la raison, même quand elle rejette et condamne le dogmatisme ; Luther est beaucoup plus apparenté aux mystiques du Moyen Age qu’aux humanistes, ses contemporains. Il a même fait horreur à la plupart d’entre eux. Érasme et Morus se sont bientôt écartés, de ce révolutionnaire dont la brutalité et le radicalisme inquiétaient autant leur intelligent opportunisme qu’ils froissaient leurs goûts d’élégance et de pondération. Ils ont deviné la tragédie qui allait s’ouvrir, en ont frémi d’avance et ont compris que c’en était fait de leurs espoirs de conciliation.

Le luthéranisme ne déchaîne pas pourtant la catastrophe des guerres de religion. Après une première effervescence populaire caractérisée par le soulèvement des paysans allemands et l’insurrection des Anabaptistes, il se soumet docilement à la direction des princes. Il abandonne l’Église au pouvoir laïque si bien que, quand Charles-Quint se décide à agir contre lui, ce sont des princes qu’il doit combattre et que la lutte qui s’engage est beaucoup plus politique encore que religieuse. Quant à Rome, surprise des succès d’un événement dans lequel elle n’avait vu d’abord qu’une querelle de moines, tout occupée des intérêts temporels, ayant laissé la ferveur s’attiédir au sein des masses catholiques, elle ne peut opposer tout