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on vient de le voir, de la culture des auteurs classiques. Il découle naturellement de la vie sociale de l’Italie. Si la littérature antique avait eu la force de la provoquer, la Renaissance se serait produite dès le règne de Charlemagne. Car enfin, la plupart des écrivains latins étaient connus et étudiés dès cette époque, jusque vers la fin du xiie siècle ils n’ont cessé d’être recopiés et leur influence se décèle facilement dans le style de quantité de chroniqueurs. Virgile surtout était tenu en singulier honneur par les clercs du Moyen Age et si grand était le respect dont il jouissait qu’on le considérait comme un précurseur du christianisme. Dante se fait accompagner par lui dans l’autre monde, et l’hommage qu’il lui rend dans la Divine Comédietu duca, tu signore e tu maestro — est plus enthousiaste, plus sincère et plus éloquent que tous les panégyriques des humanistes en l’honneur du poète de Mantoue. Pourtant, entre l’Eneide et la Divine Comédie, il y a un abîme. Dante n’a pas compris Virgile, et il ne pouvait pas le comprendre. Il était pour cela trop hautement, trop profondément chrétien et mystique. De l’Antiquité, ce que le Moyen Age a pu sentir et goûter, ce sont quelques sentences, quelques histoires, quelques « moralités » prises dans un sens symbolique, ce n’en a été ni la forme, ni l’esprit. Et ce qui est vrai de la littérature l’est davantage encore de l’art. Les maîtres inconnus qui ont élevé les cathédrales romanes et les cathédrales gothiques avaient encore sous les yeux quantité de monuments antiques et ils ont vécu au milieu d’eux sans les voir. Leur conception du beau était exclusive, comme l’est celle de toutes les écoles puissantes et sincères. Il n’y a eu d’égale à leur incompréhension de l’art classique que l’incompréhension dont l’art du Moyen Age devait lui-même devenir l’objet après le triomphe de la Renaissance. En réalité, il en est un peu de l’influence exercée par l’Antiquité sur la Renaissance comme de l’influence exercée par le Moyen Age sur le Romantisme. Sans une orientation préalable des esprits et des sentiments, ni la première à la fin du xive siècle, ni le second au commencement du xixe, n’auraient suscité des adeptes si nombreux et si fervents. Pendant longtemps on avait regardé leurs œuvres sans les voir, on avait lu leurs livres sans les comprendre. Ce ne sont donc ni ces œuvres, ni ces livres qui se sont imposés par eux-mêmes. On est venu à eux, on les a admirés, on les a compris ou cru les comprendre quand est tombé le bandeau qu’on avait sur les yeux et que l’autorité qui dominait les intelligences a cessé de s’imposer à elles. De même que sans